« Il n’y a pas de début, il n’y a pas de fin », dans l’île de Shikoku au Japon en face d’Osaka, le pèlerin qui s'engage sur le sentier des 88 temples honorant Kukaï, récite ce mantra à l’entrée de chacun des temples.
Il n’y a peut être pas non plus de « début » ni de "fin" à un voyage ?
1 - Le voyage a vraiment commencé...
Le voyage a vraiment commencé… par un rêve en forme de mappemonde.
A la table familiale, dès ma petite enfance, j’ai pu écouter, observer, questionner parfois des personnes venues des antipodes, des personnes qui vivaient, sous d’autres climats, dans d’autres civilisations. Je ne percevais que l’extérieur des choses : la couleur de la peau, la langue, le nom ou le prénom, leur activité, la description de leur environnement, de l’école « là bas », etc. Parfois ils apportaient des objets artisanaux, des fruits secs.
Je n’oublierais pas l’effarement que m’avait causé le nom d’un honorable malgache monsieur Andrianasolo Ralsafindralambo. Je ne suis pas sûre de l’orthographe mais bien de la phonétique si généreuse, au regard de mon nom de famille si court : Roch.
Ainsi avaient germé en moi depuis l’enfance, les petites graines de l’autre, de l’ailleurs, du là-bas, du très loin alors que mon père nous parlait du Très Haut.
Il n’y avait donc pas de frontières. D’ailleurs la terre était ronde ; en partant d’un point on pouvait y revenir en ayant fait tourner la mappemonde.
Le voyage a vraiment commencé… par un changement de vie. Nous n’allions pas partir en voyage mais vivre en voyageant. Larguer les amarres. Ne plus avoir de chez-soi. S’offrir, dans la durée, cette liberté de mouvement. Il n’y avait plus matière à quitter la ville pour s’installer à la campagne mais l’enjeu de se sentir libres d’aller là où les envies et les possibles nous faisaient signe. Rupture radicale : habiter ses souliers comme le chantait Gilles Vigneault.
Cette évidence s’était assez rapidement imposée à nous dès que j’avais entrevu la perspective de la retraite. L’option classique se fonde souvent sur une double polarité : changer de résidence en allant au vert, et, dans le même temps partir plus souvent en voyage si cela est possible. Mais la chèvre reste attachée à son piquet quand bien même sa corde a été rallongée.
Se libérer d’un logement simplifie la vie : plus de suivi, plus de paperasses, plus de taxes ou réparations. Mais où revenir en urgence ? Il y aura, comme en voyage, de merveilleuses occasions d’accueil au pays. Pour en citer quelques unes : ma fille a gardé pour nous dans son grenier une valise d’habits été/hiver, il suffisait de passer chez elle en descendant de l’avion pour retrouver des vêtements adaptés à la vie en France. Mon frère nous a plusieurs fois laissé habiter dans l’arrière de son local professionnel au centre de Lyon. Françoise, une amie nous a prêté une voiture. Alice et Gilles nous ont aménagé un studio tout neuf dans la grange de leur maison à Pouilly le Monial, au bord des vignes, en pleine campagne, etc.
Urgence ou pas, les passages en France n’auront pas été compliqués.
Par contre pour le courrier, j’avais demandé à mes voisins s’il était possible de conserver une boite à mon nom qui serait régulièrement vidée : Véronique s’en est chargée et cela nous a évité de multiples changements d’adresse.
Le voyage a vraiment commencé… par un coup de poing dans les boyaux :
ça y est, j’ai trouvé un Toyota land cruiser d’occasion, 60.000 km au compteur, visible dans un garage près d’Annecy. On peut le voir demain après midi. On y va !
Es-tu libre ? Du rêve à la réalité. La recherche d’un véhicule se concrétiserait sans doute avec cette annonce. C’est pour de vrai, ce premier pas nous engage tous les deux à plus d’un titre. Cela me cause plus d’effet que de vendre mon appartement.
Jaco cherchait depuis deux mois déjà un 4x4 robuste, sans électronique, Toyota avait sa préférence par rapport au Defender de Land Rover. N’ayant guère de repères ou d’appétence sur le sujet, ma confiance en lui était totale.
Je savais seulement que les additions se régleraient entre nous deux à 50-50 et qu’il y aurait du travail de conception pour figurer un habitacle itinérant confortable, optimal dans la durée, adapté à des conditions météo variées.
Construire une toute petite maison sur des roulettes. Cet aspect là m’intéressait vivement. Retenir l’essentiel, rester fonctionnel, anticiper des situations de vie en pleine nature, au chaud, au froid, totalement isolés ou dans la promiscuité de territoires sur peuplés.
Le voyage a vraiment commencé… par une petite discussion l’été précédent. Ce serait formidable d’aller en Mongolie en juillet, au moment du Nadam, cette grande fête nationale. Et si on prenait son temps pour y aller ?
La proximité de ma retraite changeait la donne en matière de voyage. Plus besoin de viser un créneau estival élargi, ni de prendre une année sabbatique ou de laisser Jaco partir en avance et le rejoindre pour une courte période. Du temps libre ensemble et des projets de voyage à foison. Avec l’atout d’un solide rodage au voyage à deux, sac au dos, au Moyen Orient, dans le sud de l’Afrique et au Canada.
Le voyage a vraiment commencé … par l’Ouest alors que nous rêvions de l’Est.
Vivre le Nadam en juillet en Mongolie, c’était la ligne d’horizon qui mobilisait toute notre énergie depuis l’automne. Retards dans la préparation mécanique du véhicule (réservoir additionnel, second pneu de secours, snorkel, etc.), temps doublé dans la finition de la cellule dessinée par nos soins puis âprement discutée et négociée avec Polycomposit près de Valence.
A Pâques nous avons eu le véhicule équipé de la cellule pour deux jours avant de le rendre à Polycomposit pour la finition du toit soulevant, il manquait les huit vérins.
J’ai proposé à Jaco de renoncer à la Mongolie et de commencer le voyage par son pays, le Canada. Il serait ainsi plus facile de procéder aux ajustements sur place plutôt que d’égrener les choses au gré de la route en direction de la Russie. Accord vite partagé. Jaco a trouvé un container pour la fin avril au départ du Havre. Le compte à rebours des préparatifs touchait à sa fin, le matériel devait être prêt pour la mise en container.
Le voyage a vraiment commencé … le 6 mai pour Elisabeth, le 19 juin pour Jaco.
Pgaz, notre véhicule était parti en container fin avril, direction Montréal. Nous allions y arriver en avion début mai.
Le 6 mai, épuisée, je réglais encore dans la voiture qui nous conduisait à l’aéroport, les dernières démarches pour ma retraite, la mutuelle etc. Mon fils au volant était désolé de ces ultimes tracasseries. La nuit n’avait pas suffi à tout régler. La pression était forte, dans quelques instants tout serait différent, suspendu, mis entre parenthèse pour longtemps. Il faudrait tenir compte du décalage horaire pour téléphoner, ne plus avoir sous le coude les références et adresses utiles, bref, le mieux m’apparaissait de faire le maximum pour pouvoir couper ensuite au plus court. Je lui laissais entre les mains le carton des derniers papiers administratifs. Consciente de ces débordements, j’avais hâte de me libérer l’esprit. Partir, enfin. Avec l’inestimable chance de pouvoir compter sur le solide appui de mes enfants, de mes proches : famille et amis.
Partir en avion est souvent le mode de transport qui vient rompre brutalement le lien au chez soi, une sorte de catapulte vers l'inconnu. L’aéroport est un monde à part, un entre deux : banal, déchirant ou exaltant, lieu qui vous soumet à une succession de passages, contrôles, attentes et vérifications jusqu’au dit embarquement.
On aime ou on déteste. Je le prends comme un sas, une transition, un rendez vous avec soi même avant d’aborder autre chose, peut être aussi la curiosité de me découvrir différente.
L’aéroport est plus impersonnel, il n’y a que le bouclage de la ceinture de sécurité qui peut marquer le début du voyage : on n’a pas vu le conducteur et il n’y a pas de klaxon, juste une sonnette.
Quitter mon pays a marqué le début de mon voyage.
Jaco, canadien né au Québec, revenait dans ses terres ce 6 mai là. Il allait arroser ses racines avant de partir en voyage. Pour lui le voyage a commencé quelques semaines plus tard : le 19 juin lorsque nous avons quitté Ottawa. Entre ces deux dates du 6 mai au 16 juin le programme piloté par Jaco a été rondement mené. Les enjeux matériels, il fallait finaliser la préparation du véhicule : pneus, freins, éclairage, literie, cartographie et guides utiles, rangements dans la cellule, tris dans les cartons de Jaco laissés chez son fils Daniel, etc. Et de l’autre, les enjeux affectifs : revoir la famille, les amis, faire la fête, goûter ce printemps si rapide avant l’été canadien. J’étais tellement épuisée que je faisais deux siestes par jour. Jaco me tapait sur l’épaule : bon, maintenant on va chez X ou Y, ou bien je dois passer chercher ceci ou cela et je reviens dans une heure.
xxxxLe 19 juin, partis d’Ottawa vers 15h, l’étape n’a pas été longue. Nous avons dormi au bord de la rivière des Outaouais au Mackay landing, cet espace réservé à la mise à l’eau des bateaux de plaisance. Pas vraiment permis, mais un si bel endroit pour un premier bivouac. La maréchaussée ne nous a pas délogé.
Ce fut notre vraie première nuit sur la route.
Le voyage a vraiment commencé … quand l’allergie de Pgaz, notre véhicule, a été résolue.
Le 20 septembre après avoir traversé le pays de part en part jusqu’à l’ile de Vancouver pour passer du temps avec Jo la fille de Jaco et son mari, découvert l’Alaska, le Yukon, roulé sur la Demster highway en direction du grand nord… Pgaz s’essoufflait de plus en plus souvent : il n’arrivait plus à monter les côtes. Un comble pour un robuste 4x4. Une grosse déconvenue pour deux innocents en mécanique.
De garage Toyota en garage Toyota, pas de solution efficace. L’inquiétude montait en proportion : pas question d’entrer aux Etats Unis avec un véhicule défaillant. Nous approchions de la fin août et l’option de rentrer en France se dessinait bien malgré nous. Jusqu’à cette ultime tentative à Letbridge en Alberta auprès d’un diéséliste agricole. Le patron de Fisher Diesel après plusieurs by pass de l’arrivée du carburant, trouve enfin la solution : « this car needs more advance ». Perché sur un tabouret il donne deux ou trois coups de marteau sur une longue tige métallique enfoncée dans le moteur (où ??) et hop, le tour était joué… enfin.
Le voyage allait vraiment commencé, en quittant le Canada pour entrer aux Etats-Unis. Le moral était revenu à haut niveau grâce à la confiance retrouvée dans notre véhicule.
En route, comme dans la vie, tout peut s’arrêter dans la minute. Cette conscience de l’instant est sans doute accentuée au quotidien lorsque tout bouge, change, doit être découvert, deviné, compris, clarifié au fur et à mesure du voyage.
2 - Les enfants en voyage.
Au Canada ou aux Etats Unis, nous n'avons pas rencontré beaucoup d'enfants. Ils étaient sur les terrains de sport, dans les bus jaunes du ramassage scolaire, en sortie d'école au musée ou à l'aquarium. Guère de contacts dans la rue, sur les parkings ou en randonnée. Ce n'est qu'à partir du Mexique en allant plus au sud que les rencontres ont commencé : une partie de foot ici, là un ballon tapé à trois ou quatre, des poses spectaculaires, des coups de tête hardis, des pirouettes originales, le jeu sans doute nourri des hauts faits de leurs idoles.
Tout aussi créatif, la découverte d'un engin longuement mûri élaboré à partir d'un pneu, d'un bâton, de fils de fer, de boites de conserves, parfois décoré de drapeaux, plumes ou feuilles séchées. La fascination de l'engin qui roule, que l'on fait avancer devant soi avec panache ou qu'on tire avec soin pour éviter le désastre d