TEXTO,
impressions de voyage, au fil de la route et des rencontres
(année 3)
Là
où il n’y a plus de route
Découvrir la Mongolie, c’est accepter de perdre nos
repères habituels de signalisation routière, oublier
l’asphalte, interroger les reliefs, se plonger dans
les cartes et les oublier aussitôt, faire confiance au GPS
et en même temps garder son intuition de
l’environnement, interroger les gens lorsqu’on
en croise, comprendre que la piste indiquée sur la carte
n’existe plus mais qu’on peut tenter par
là-bas... découvrir qu’il n’y a pas de
carrefour à angle droit mais des fourches (un peu comme sur
les autoroutes) et pour changer de direction on choisit
plusieurs fois d’aller à droite par exemple, bien
veiller en quittant un village à partir dans la bonne
direction car selon l’angle de départ, on peut se
retrouver à un tout autre endroit, savoir qu’une
indication kilométrique correspond peut être au début
d’un district et donc pas à la destination visée qui
est 20 ou 30 km plus loin. C’est aussi choisir à qui
demander son chemin, préférer un conducteur à une mère de
famille ! accepter la discussion collective du groupe sorti
de la yourte pour commenter la carte et nous donner une
indication âprement élaborée entre les différentes
générations ! Autant de moments amusants qui parfois nous
incitent à redemander la même chose un peu plus loin ! En
effet, nous ne comprenons pas toujours l’ensemble des
indications reçues, alors nous avançons par étapes. Estimer
le risque, écouter son feeling, faire confiance aux outils
et informations collectés et garder son GBS, le gros bon
sens à côté du GPS !!
La reine des pommes
Longue journée de route en direction d’Alma Ati
(traduction « le père des pommes », région
réputée pour ses pommes en Asie), au Kazakstan, fin
d’après midi, nous cherchons un bivouac et voici un
cours d’eau sympathique. Nous nous posons, douche au
soleil, lavage du linge dans l’eau vive, petite bière
fraîche et tasse de thé, la routine du repos se déroule
tranquillement. Soudain une femme surgit de l’autre
côté de la rivière. Elle est accroupie et hurle des choses
qui n’ont pas l’air d’être des mots
d’amour ! Je me dirige vers elle avec un salut, elle
continue à hurler, j’avance et voici qu’elle
traverse la rivière en gesticulant. Je continue à avancer
vers elle la main tendue. Elle me prend dans ses bras avec
force, qu’est ce qui m’arrive ??? Je continue à
lui parler doucement en français avec des gestes explicites
: c’est beau ici, on veut dormir ce soir, on part
demain, etc
Elle se calme peu à peu, je vais chercher le carton rédigé
en russe pour demander l’hospitalité, c’est la
première fois en deux mois qu’il nous sert ! Elle le
lit à voix haute plusieurs fois et le commente,
j’essaie de discerner si cela lui convient ou pas. Je
continue mes explications en français avec les gestes
habituels. Elle me resserre dans ses bras. Elle paraît un
peu éméchée et pas franchement normale, mais bon les choses
semblent se tasser. Elle appelle ses deux chiens et leur
donne moult caresses, je me dis qu’elle doit avoir
grand besoin de câlins elle aussi ! puis elle repart et
traverse à nouveau la rivière. La vie reprend son cours et
voici à nouveau les hurlements... je retourne vers la
rivière et la trouve avec une grande cuvette remplie de
pommes ! C’est trop ! j’en prends 3 ou 4 et la
remercie, mais non. Je vais chercher un paquet de biscuits
et lui offre. Finalement, elle va vider toute sa cuvette et
repartir avec les petits biscuits... Nous aurons de quoi
cuire deux casseroles de compote de pommes ... du jardin de
la reine des pommes !
Ici
et là
Je suis ici, mais mon ici se ballade, car on est toujours
ici en allant là, sans être d’ici ! et
lorsqu’ici est en Pologne, c’est une toute
autre affaire de se comprendre. Nous cherchons la direction
de Wielicza pour voir cette mine de sel. Je demande la
direction en pointant le nom sur la carte. Je comprends
grâce aux signes de la main qu’il faut d’abord
aller à droite vers «j’ai chaud» puis à gauche vers
«tango»... je me répète bien ces deux mots en remontant
dans Pgaz, rire avec Jacques, effectivement sur la carte je
retrouve RZESZOW soit «j’ai chaud» et TARNOW soit
«tango», comment va-t-on faire en Russie ??? on rira sans
doute encore plusieurs fois ! Et le plus simple finalement
est de s’exprimer dans sa langue : je vais payer
l’essence à la caisse en annonçant « je vous
dois 78 zlotys de diesel pris à la pompe 3 », la
personne me regarde ahurie, puis rigole et me rend la
monnaie. Au moins on aura ri et elle aura compris que ce
n’est pas facile de se comprendre !
Départs, départ
Il y a les petits départs, ceux qui donnent
l’avant goût de l’autre, le grand. On sait que
l’on ne repassera sans doute pas ici avant longtemps,
qu’on a des chances de se revoir encore une fois peut
être, mais les possibilités se réduisent,
s’amenuisent, se raréfient... L’instant,
d’un coup, devient plein... comme il l’est
toujours d’ailleurs... juste une question de
conscience, le présent.