TEXTES de
VOYAGE, au fil de la route et des rencontres (an 2)
Les
petites phrases
Difficile de se faire une idée des effets d'un
voyage après deux années de route. Est ce "le voyage qui
vous fait ?", "purge t-on la vie avant de la garnir ?",
"est ce que les choses surviennent ?"... les écrivains ont
sans doute une grande longueur d'avance. Pour ma part, je
sens augmenter le nombre des questions sans réponse,
augmenter l'étendue de mon ignorance. Comment comprendre un
peu des réalités entr'aperçues sans maîtriser la langue (en
espagnol on se débrouillait mais ici en portugais c'est une
autre affaire !), sans trouver les bons interlocuteurs,
sans disposer de ressources documentaires autres que les
quelques guides et ouvrages emportés ? Je mesure la
fragilité du regard, quel sens donner à ce que l'on voit ?
L'impression d'effleurer les choses qui constituent
cependant le quotidien combien tangible, concret, parfois
même, semble t-il, figé depuis des lustres des personnes
d'ici... pour moi qui vient d'ailleurs ! Que veut dire
l'avenir des enfants qui sortent des petites écoles
croisées en chemin ? Comment s'en sortent leurs parents ?
Il reste ce qui peut se passer de mots, les échanges
amicaux, les bouts de conversation émaillés de rires
mutuels lorsqu'on se rend compte que l'on ne se comprend
pas ! Combien précieux ces bouts de rencontres, ces moments
passés ensemble à apprendre comment cuire ce légume géant,
réparer le réservoir supplémentaire de Pgaz que l'on a
failli perdre pour de bon, chercher son chemin, de l'eau
potable, la poste ou un endroit tranquille pour dormir.
Voyager pour aller vers l'autre ?
Programme
farniente
Une semaine
sur place, en face de la mer, le farniente au programme.
Nous avons des rendez vous quotidiens. Le colibri matin et
soir, il ne fréquente que les fleurs rouges. Les chauves
souris viennent tourner dans le jardin quelques instants au
coucher du soleil puis disparaissent. Le chat s'essaie bien
chaque jour mais nous préférons le bruit des vagues à ses
ronrons. Les coqs s'y mettent vers 4h30 puis retrouvent du
calme et ce sont ensuite les nuées de moineaux locaux qui
tout d'un coup se comptent et se racontent avant de se
disperser pour la journée. Le vent taquinera les surfeurs.
Le soleil cuira vite fait les peaux trop blanches. La
fraîcheur de la maison accueille les paresseux pour
quelques siestes à répétition. Petit café par ci, couture
par là, tri des photos, préparation de textes, lectures,
échanges, rires, reconnaissance de ces instants
bienfaisants, flux de pensées vers ceux qui sont tout
près/si loin, ballades sur la plage, popote... et des
échanges avec Rosa, Waldir et Lucas, la rencontre avec
Luiza à Iguape, capitale de la dentelle ! Les travaux du
puit sont terminés mais il faudra agrandir l'éolienne pour
tirer l'eau maintenant à 32 mètres de profondeur. On plante
quelques cocotiers pour l'ombre. Baleu vient nous cuisiner
un plat de poisson, en français s'il vous plaît ! On
prépare la suite : Belem, Manaus puis le Vénézuela. Le
plaisir immobile. Merci les cousines Ariane et Monique pour
l'hospitalité. Le portail de l'arrière cour a laissé passer
Pgaz avec une toute petite marge de quelques centimètres !
Il aura pris des vacances à côté des poules, chèvres,
chevaux et chiens, sans dire un mot.
Les
mauvaises têtes... et les rencontres !
Des
rencontres peu banales. Rio, sur le parvis d'un théâtre un
couple parle français, nous cherchons aussi à visiter le
théâtre, il est fermé. Nous bavardons, vous venez de Paris
? Thierry et Martine habitent à Nation. J'évoque
Parmentier, Thierry réagit car il y a passé son enfance, le
collège Fontaine au Roi, il connaît. Il revient
régulièrement dans le quartier car son père y travaille
encore, dans un atelier "où on répare tout"... je suggère
"même les mauvaises têtes" ? stupéfaction ! c'est le slogan
accroché par son père dans la vitrine entre deux poupées :
ici on répare même les mauvaises têtes ! Sao Paolo, jour
férié, 16h on cherche le Carrefour pour des emplettes avant
de quitter la ville, on longe une très longue rue, feux
après feux nous suivons un Diffender Land Rover, deux
autocollants attirent notre attention : drapeau du Canada
et du Québec, pas banal au Brésil. La rue continue à
monter, nous devons bientôt tourner à gauche, voici que le
Land Rover vient de tourner lui aussi à gauche juste devant
nous... s'arrête sur le côté, baisse la fenêtre. Marcello
nous interpelle, où allez-vous ? au Carrefour ! bon, moi
aussi, alors on s'y retrouve ! On y fera la connaissance de
sa femme Ming, chinoise rencontrée en Tasmanie et de leur
petit Magnus, juste un an au compteur, les 3M ! Quelle
soirée ensuite autour d'une succulente pizza, Marcello a
monté un atelier de tatouage il y a quelques années et cela
marche très fort. Ming apprend le portugais et espère
retravailler dans une banque. Magnus fait ses premiers pas
et comprend déjà l'anglais, le portugais et le cantonais.
Un endroit sûr pour dormir ce soir car l'heure tourne et
nous n'avons pas quitté la ville comme prévu ? allons
devant chez sa mère, la rue est gardée 24h sur 24h car un
ministre habite à proximité. Retrouvailles matinales le
lendemain pour un somptueux petit déjeuner à la
brésilienne. Tiradentes, on entend dans la rue "tu vois, le
toit se lève", on passe la tête et on bavarde : des
expatriés français et canadiens en famille ce samedi.
Contact simple, direct et chaleureux, vous serez à Brasilia
dans deux semaines ? venez donc à la maison ! quelle joie
de les retrouver ! quel plaisir de parler "québécois" !
quel bien être ces journées à la maison, Pgaz sagement garé
dans le jardin... merci ! Centre commercial à Punta del
Este, au pied d'un escalator, un tout petit stand avec des
machines à coudre à pile... curieuse, je questionne
Lourdes, la vendeuse. Elle me parle de sa vie ici, elle
attend son visa pour le Canada et devrait être à Toronto
dans 4 mois ! Ne maîtrisant pas bien du tout le portugais,
cela rend plus difficile les échanges au fil des jours
comme on aime à les vivre depuis qu'on est en route.
Difficile à comprendre Alberto, dans son champ de salades
qui accepte que l'on passe la nuit, mais un bon moment
passé avec lui avant que son chargement soit terminé, il se
lèvera à 4h pour rejoindre le marché de Belo Horizonte.
Depuis le matin nous croisons des camions chargés de sacs
gris empilés le plus haut possible, mais cela semble bien
tenir. On se dit que cela ne doit pas être très lourd, mais
quoi ? du café ? du charbon de bois ? dans une station
essence, je vais voir un des camionneurs et lui demande
quel est son chargement, je tente un "madero cocinando ?"
(du bois cuit), éclat de rire ! "carbon" ben oui, du
charbon de bois ! ils viennent du Paraguay à la queue leu
leu, vive les barbecues.
Tant
d'amour, tant de patience.
Le
choc d'apprendre un décès lorsqu'on est loin, très loin de
ses bases. C'est ainsi. Ma petite mère s'est éteinte le
samedi 9 février à 97 ans. Lorsque je lui avait parlé de ce
voyage, elle m'avait demandé : "plusieurs mois ?" "oui,
petite mère, plusieurs mois..." Elle m'avait pris les deux
mains en rapprochant son visage : "on se regarde" me
dit-elle lentement en répétant trois fois son propos. Pas
une larme, pas un reproche, un regard du fond de l'âme,
tranquille et si présent encore en moi."Je suis tellement
contente pour toi et tu as un si bon compagnon". "J'ai une
demande, dit-elle, peux-tu m'envoyer des cartes postales ?"
"oh oui maman, je vais t'envoyer des cartes postales".
"J'ai une autre demande", silence, "peux tu numéroter tes
cartes, comme cela je serai sûre de toutes les recevoir".
Le 9 février je lui écrivait la 97ème carte et je la
postais le lendemain de Fort Lockoy, unique boîte aux
lettres de l'Antartique. Chère et tendre petite mère,
comment te remercier, comment exprimer de la reconnaissance
pour tout l'amour que tu nous a donné, toute la patience et
le non jugement que tu as eus envers nous tous, toute
l'attention, l'écoute et l'accueil que tu as manifestés
durant ta longue vie. Vous êtes maintenant trois à être "de
l'autre côté", dans le grand continent blanc. Notre père et
un frère bien trop tôt partis, puis toi qui "ne voulait pas
nous faire de la peine". Tu t'es éteinte lentement en
gardant ton sens de l'humour. "Aide moi à trouver une rime
"au pas chancelant des résidents"... "j'ai l'âme en
table/lamentable" avait-elle dit à mon frère devant un
quartier de mandarine difficile à avaler. Elle aura su par
ma soeur qui lui parlait chaque jour au téléphone que
j'allais voir des pingouins, animal qu'elle aimait tout
particulièrement. Enfant elle avait construit une "cabane à
pingouins" avec ses frères et on les voit déguisés en
pingouins sur de vielles photos sépia. Enfance, maturité,
vieillesse. Présence, absence, pas de rupture.
Pingouins
? Manchots ?
La langue anglaise (pinguins) ne distingue pas ces deux
oiseaux : les pingouins de l'hémisphère nord qui volent
comme les macareux, les guillemots et les manchots de
l'hémisphère sud qui ne volent pas comme les magellans, les
papous, les adélies, les gorfous macaronis ou sauteurs, les
jugulaires, les rois ou encore le fameux empereur seul
animal à pondre et couver son oeuf en plein hiver (-60
degrés). Nous aurons pu voir de larges colonies de manchots
papous au bec rouge (gentoo), de manchots adélie aux yeux
bleus certis d'un filet blanc, de manchots à jugulaires
(chinstrap) avec un bec noir et une fine ligne noire sous
le menton et deux rescapés macaronis avec leurs filoches
jaunes sur le haut du crâne. Fin janvier : les bébés sont
gros, en cours de sevrage. Ils courent parfois après leurs
parents peu enclins à les nourrir. Leur duvet ne leur
permet pas encore d'aller à l'eau. Ils restent en groupe,
vastes nurseries, très attractives pour les oiseaux
prédateurs comme les pétrels ou les labbes (skua). Un
survol de la colonie, l'oiseau isole un petit et l'assomme,
10 minutes plus tard il ne reste pas grand chose. Le
cadavre est déchiqueté par cinq ou six pétrels qui se
battent le bec ensanglanté. La nurserie est restée groupée
au bord de l'arène. Plus amical : restez tranquille un
moment, un manchot curieux s'approche, se dandine, lève le
cou, cherche à picorer votre gant, votre botte, vous suit
sans doute dans l'espoir d'une pitance poissonneuse. Les
manchots ont un ou parfois deux oeufs, couvés au sec. Le
nid est constitué de cailloux, parfois volés au voisin.
Dans cette phase l'essentiel est de rester au sec d'éviter
l'humidité ou la neige. Ils choisissent donc des espaces
ventés et grimpent parfois de fortes pentes pour aller
nicher. Quel spectacle ces colonies haut perchées et les
allers retours entre le nid et la mer. Les adultes
connaissent chaque année une période de mue après le
sevrage. Ce sera donc quelques deux ou trois semaines sans
nourriture faute d'être imperméable : les nouvelles plumes
remplaçant peu à peu les anciennes avant de pouvoir
retrouver le chemin de la mer. Ils se nourissent de krill
comme les baleines, peuvent plonger jusqu'à 25 minutes,
nagent avec leurs ailes et sautent hors de l'eau un peu
comme les dauphins. Ils sont une proie appréciée des
orques, baleines tueuses, éléphants de mer... Ils se
retrouvent parfois dans les filets des bâteaux de pêche à
longues lignes (long ligner). Il y a 17 espèces de
manchots, nous en aurons vu 4.
Manger
et boire en Argentine
Les
argentins sont les premiers consommateurs de viande au
monde devançant les "étatsuniens". Bienvenue pour un petit
asado (barbecue) : le plus souvent du boeuf mais quel régal
de déguster un mouton cuit par reflexion : la bête ouverte
sur la longueur est dressée face au feu, cuisson lente et
chair croustillante. Vins variés secs ou fruités venant du
nord du pays : beaucoup de choix avec des degrés élevés
d'alcool, difficile de trouver un 12 degrés lorsque tout
s'affiche entre 13 et 14,5. Les légumes ne sont pas légion
dans les magasins et il est difficile de trouver du nescafé
sans sucre, des yogurts nature, des galettes sans "dulce de
leche", tout est très sucré. Difficile de trouver du
poisson non congelé, même à la poissonnerie ! Connaissez
vous la boisson nationale ? ni thé ni café ni bière mais
maté. Le maté se consomme tout au long de la journée.
Chacun se ballade avec son thermos d'eau sous le bras pour
remplir régulièrement son gobelet de maté. Le maté est une
herbe drue grossièrement hachée parfois parfumée à la pomme
ou à la camomille. On remplit son gobelet de 3 à 4
cuillères de maté, on secoue sur la paume pour en retirer
le plus de "poussière" avant de verser une première dose
d'eau chaude non bouillie SVP. On glisse une pipette
spéciale en veillant à boucher la partie haute pour que les
fines particules ne pénètrent pas dans la pipette et on
aspire lentement une première giclette de maté. Goût plutôt
amer. On prend le temps de siroter puis on remplit à
nouveau le gobelet et... on passe à son voisin ! Le maté
est une cérémonie collective. Si on dit "gracias", on ne
vous repassera pas le gobelet.
Les
estancias de Patagonie
Quelques
milliers d'hectares consacrés à l'élevage de moutons mais
aussi de vaches, les plus anciennes estancias ont été
créées en 1896 en Terre de Feu sur les territoires des
Onas, des Yamanas ou des Yagahans ethnies désormais
disparues. Il reste une grammaire yamana rédigée par un
pasteur anglican installé à l'estancia Harberton, 44.000
hectares et anciennement 22.000 têtes de bétail. L'estancia
s'est reconvertie au tourisme : à une soixantaine de
kilomètres d'Ushuaia il est plus facile d'accueillir des
visiteurs dans un ancien domaine qui abrite des pingouins
de surcroît. Un des bâtiments caractéritiques d'une
estancia est le "galpon" ce vaste hangar carré servant une
fois par an pour la tonte des moutons (voir "jour de tonte
chez Rolito"). La piste traverse parfois plusieurs
estancias. Avez vous déjà roulé "chez vous" durant des
dizaines de kilomètres avant de passer chez le voisin ?
Castorama
: des castors en plein travail
A
70 km au nord d'Ushuaia, on quitte la fameuse route 3 et
hop, cap sur la laguna Fagnano, 11km à travers bois pour
longer ensuite une étroite piste au ras de l'eau. Solitude
garantie. On grimpe à pied une falaise surplombant d'un
côté la laguna et de l'autre une vallée où courent
plusieurs ruisseaux au milieu de troncs d'arbres
enchevêtrés. Soudain un barrage, branchages et boue
mélangés, signature de la présence de castors... en verra
t-on ? Patience, en voici un il glisse dans l'eau le museau
à l'air, transporte ici un bout de bois, là une motte de
boue, il disparaît, creuse un trou, l'eau devient brune de
terre, il réapparait maculé de glaise et reprend ses
trajets vers les différents points de son barrage,
infatigable.
La
Terre de Feu et sa capitale Ushuaia (Argentine)
Le
continent s'arrête en Patagonie au sud de Punta Arenas,
ville chilienne, mais les puristes iront à Fuerte Bulnes,
un fort construit en 1843, c 'est le bout de la route. La
terre continue encore un peu plus bas au phare San Isidoro
et à Froward mais il n y a plus de piste. L'accès en Terre
de Feu nécéssite donc de franchir le canal de Magellan soit
par Punta Arenas (5heures de traversée parfois très
houleuse) soit de contourner par l'est et prendre le ferry
à Puerto Espora (traversée d'une heure trente). Les grands
vents, les vastes estancias, les rares villages avant
Ushuaia, les fôrets de lengas, ces arbres aux si petites
feuilles vivaces (2 à 3 cm). La côte avec les bateaux
échoués qui rouillent non loin. La neige sur les montagnes,
des lacs sombres, un temps relativement clément et des
lupins en profusion : bleu, rouge, jaune, orange, rose...
toute la palette y est. Ushuaia, un site superbe, des
montagnes en bord de mer, un glacier proche et quelques
stations de ski. La ville grandit vite. Le pénitentier est
devenu musée, le port accueille des bâteaux de croisières
de toutes tailles : les énormes FRAM et autres voyagistes,
les moyens avec une centaine de passager et les voiliers
qui eux aussi vont vers l'Antartique. L'inévitable rue San
Martin avec ses magasins de luxe et ses multiples
restaurants, des rues latérales aussi commerçantes, les
taxis, coups de klaxon si cela ne roule pas assez vite. Le
samedi on déambule en famille, dans la semaine les jours
s'animent au gré du débarquement des touristes. Un camping
à 3/4 d'heures à pied du centre et des rencontres : les
argentins sont en vacances, des étrangers avec la
proportion habituelle d'allemands et de suisses. Surprise
de rencontrer nos premiers "British" : un couple en moto à
travers le continent. Précieux échanges d'information sur
le Brésil, le Vénézuela... comment aller aux chutes Angels
? où se poser à Rio ? quelle est la bonne période pour le
Pantanal ?
Et une surprise de taille : dans un cybercafé, un couple
s'approche de Jacques et tente un "Edmonton?", on se
regarde en face... "oui, Edmonton en juin 2006 !?!?" nous
avions passé la soirée avec Kim et Rick, deux policiers
passionnés de landcruiser. Quelle seconde belle soirée
passée avec eux au bout du monde, si "loin de chez nous".
Le monde est petit, merci les coïncidences.
ROLITO,
Terre de Feu, le jour de la tonte
Tout commence...deux jours avant : pas de tonte si les
moutons ne sont pas secs. On reconnaît les estancias
pratiquant l'élevage de mouton à leur immense hangar sur
pilotis, au toit de tôle et aux toboggans latéraux
permettant d'éjecter les moutons au sous sol une fois la
tonte effectuée. Ce matin là, grand ciel bleu, les moutons
sont déjà parqués sur le côté. les barrières s'ouvrent. Les
moutons entrent par lot dans des enclos réduits puis sont
bousculés vers l'intérieur du hangar. L'instrument magique
aux mains des bergers sont ces bouteilles en plastique
remplies de cailloux. Les deux tiers du hangar sont occupés
par les boxes d'attente des mouton. Sur un côté, au sud,
les six hommes en charge de la tonte sont en action : en
deux minutes chrono, il a sorti une bête du boxe en la
retenant tête en l'air, elle glisse sur son arrière train
encore chaud de ses kilos de laine. Position, action. La
tonte commence par le cou, les oreilles, le ventre, les
flancs puis le dos une fois que la masse de laine
pendouille sur le côté. Le sabot électrique de sa tondeuse
navigue sans s'arrêter et dessine de grandes vagues
blanches qui peu a peu font apparaitre un gringalet
immaculé content de se retrouver bientôt sur ses quatre
pattes, combien svelte ! La bête a changé de volume et de
couleur en un instant, pas un bêlement, elle retrouve les
autres dans un sas ensoleillé. Au suivant. Trois jeunots
ramassent la tonte et vont l'étaler dans un savant geste
d'envol sur une grande table à clairvoie. L'un va arracher
les traces bleues d'identification du troupeau, l'autre
coupe les parties souillées de la laine, le troisième
vérifie l'ensemble et arrachera telle partie qu'il lance
sur une table plus petite : on recupère encore à ce stade
des bouts de laine qui seront traités dans un autre
circuit. Seule les toisons entières sont entassées dans la
presse : peu à peu elle se remplit, un des deux gars
chargés de l'emballage les foule au pied puis la presse
sera enclenchée et les leviers actionnés à bon rythme vont
livrer un ballot final. 190kg celui ci, 200kg celui là, la
balance délivre son verdict. Un carottage est prélevé sur
chaque ballot avant qu'il ne soit poussé vers la trappe
d'évacuation. Il y aura 120 ballots pour cette saison.
Direction la Russie ou la Chine sans retraitement local.
Quelques chiffres : 2 à 4 kg de laine par mouton à 2 pesos
le kg, 1,5 pesos payés au tondeur qui en passe 150 dans une
journée donc gagne 45 pesos à l'heure soit 90 euros/110
dollars pour sa journée. Une quinzaine de personnes
travaillent à bon rythme toute la journée, les seules
journées où ce vaste hangar vit sa vie ! Le propriétaire
gagnera 48.000 dollars pour ses 120 ballots. Chaque année
il perd 500 bêtes : une centaine du fait des intempéries
(les moutons sont dehors toute l'année) et 400 sont tués
par des chiens errants, le fléau de la terre de feu. Il
nous a indiqué en avoir tiré près de 2000 sur ses terres,
l'an passé. Sa famille est venue ici en 1927. Son domaine a
100 km de clôture externe, 350 km de clôtures internes.
Deux questions : quelle est la surface de son estancia ?
et, avant de vous endormir... comptez combien il a de
moutons !
Clin d'oeil aux chiens bergers : un sifflement de son
maître et le chien de tête file vers le troupeau, il court,
il court à fond de train et rejoint les bêtes. Second
sifflement et les chiens latéraux s'élancent à leur tour
comme des flèches. En quelques minutes l'ensemble du
troupeau sera ramené vers le hangar.
Le
Perito Moreno, un glacier actif
Plusieurs
glaciers dans le Sud argentin mais l'un d'entre eux se
laisse approcher de près à pied sec. 14 km de glace qui
avance chaque jour, un mur de 50 à 60m qui rugit, craque,
s'effondre dans de grandes gerbes d'eau. De gigantesques
"baleines bleues" qui surgissent des profondeurs comme un
feu d'artifice puis s'éloignent tranquillement. Ces blocs
ont une sublime couleur azur. Fascination de ce spectacle
continu : immensité du champ de glace immaculé avec ses
pointes acérées dressées vers le ciel, reflets changeants
de la falaise glacée qui passent du bleu au vert, lignes
concentriques à la surface des eaux qui accompagnent la
chute des blocs. Coups de pétards, craquements sinistres,
rugissements, le glacier déploie une intense activité pas
toujours visible mais combien permanente : d'où vient de
nouveau bruit ? quel est le prochain bloc qui va s'éfondrer
? et ce gigantesque pouce, va t-il tenir encore longtemps
défiant les lois de l'équilibre ? La journée d'observation
passe vite même si le vent arrive peu à peu à nous
transformer aussi en "glaçons" !
Vous
avez dit "moaï ?"
Etonnants ces géants de pierre dressés le dos à la mer pour
apporter la "mana", l'énergie et la force aux pascuans.
Renverser un moaï apportait le malheur et la défaite à
l'ennemi. Tous les moaïs de l'ïle ont ainsi été brisés ou
renversés au fur et à mesure des conflits, rivalités et
guerres locales. Une partie d'entre eux a retrouvé sa
posture initiale le plus souvent sur les plateformes de
cérémonie : jusqu'à 15 statues côte à côte, des grandes et
des plus petites, avec ou sans "chapeau". La question du
couvre chef ! ces gros turbans rouges représentent ils une
coiffe, des cheveux ? l'énigme reste entière. Tous les
moaïs viennent de la carrière de Rano Raraku. Ils étaient
taillés dans la roche en position allongée (voir photo des
deux gisants tête bèche au flan de la montagne). Ils
étaient ensuite acheminés à destination. Autre énigme :
voyageaient ils couchés ou debout ? Leur coiffe rouge
venaient d'une autre carrière. 887 moaïs recensés sur l'île
dont la moitié encore dans la carrière et 92 en cours de
route vers leur destination. Quatre sites majeurs les
montrent sur leur plateforme d'origine : jusqu'à 15
bonhommes, pas de femmes, alignés dos à la mer. Des grands
de 8 à 10 m, des plus petits de 2 à 4 mètres, tous les
mains sur le nombril (voir photo). Pas de jambes sauf une
stèle proche de la carrière. Et le poids ? en moyenne 60 à
80 tonnes avec un géant de 21 mètres de haut affichant ses
170 tonnes. On imagine le suspens du déplacement de ces
statues. La tradition rapporte que "les moaïs marchaient
vers leur destination", donc ils étaient déplacés en
position verticale. Autre originalité de l'île : une
écriture unique avec 120 symboles.On lit la ligne puis on
retourne la plaque pour lire la ligne suivante dans l'autre
sens... forme poétique du bostrophéron que l'on rencontre
en Crète, sans doute aussi ailleurs.
Voyage immobile... de temps en temps
Le plaisir si
particulier du voyage immobile : se poser dans un endroit
accueillant pour quelques temps et "faire rien," ce qui est
bien différent de "ne rien faire". Goûter le plaisir du
paysage qui ne change pas de place. Faire quelques pas
autour de la "cabane" et retrouver le même chemin de
retour... vers elle. S'accoutumer aux bruits du voisinage
qui peu à peu deviennent familiers. Retrouver les mêmes
personnes à quelques heures ou quelques jours de la
première rencontre. Relever les petites habitudes et
coutumes du lieux. S'approprier à notre tour un bout de
territoire. Apprécier ce hâvre à l'ombre d'un arbre, au
creux d'une haie, au bord d'un lac ou près d'un bâtiment.
Se sentir de passage et en même temps un peu d'ici, ou de
là ! Se dire que cela est bon de pouvoir se poser sur un
petit coin de cette terre ! Lire, écouter de la musique,
révasser, préparer tranquillement les prochaines étapes,
réparer les petits bobos éventuels du camion, faire un peu
de couture, écrire, penser aux uns et aux autres... et
remercier pour cette liberté de vivre !
Les mines de Potosi : misère et grandes fortunes
1544, depuis
bientôt cinq siècles, la colline magique de Potosi enrichit
les uns et tue les autres. 8 millions de morts dans cette
colline aux 600 mines en cours d'exploitation : argent,
zinc, cuivre... mais dans quelles conditions ! Les mines ne
sont plus exploitées par l'Etat depuis une vingtaine
d'années. Ce sont des coopératives à la bolivienne qui ont
pris le relais. De huit à vingt personnes sous la houlette
du propriétaire avec trois catégories de personnel : ceux
qui décident des filons à traiter et qui manient la
dynamite, les mineurs qui vont creuser et dégager les
pierres et les derniers qui vont transporter parfois en
rampant, puis le long des galeries le minerai jusqu'à la
surface. Les plus jeunes et les femmes sont dehors pour
remplir les camions. Un camion de 8 tonnes sera rempli en
trois jours si la coopérative a des équipements modernes ou
en deux semaines si tout est fait "a la mano". Chaque
mineur vient avec son casque, ses outils et ses réserves de
carburant : de l'alcool "potable" à 96 degrés comme
boisson, eh oui, et un sac de feuilles de coca qui va
permettre de renouveler sa boule de coca dans la bouche
avec un alcalin durant la journée. Plus de problème de
gamelle ou de "pic nic à la noirceur" ! L'usage veut que le
visiteur apporte trois catégories de cadeaux : des boissons
gazeuses pour ceux qui travaillent dehors, des feuilles de
coca ou des cigarettes pour les mineurs et... des batôns de
dynamite pour le patron. Donc on va acheter tout cela dans
de minuscules boutiques avant de monter vers la fameuse
colline. Une tradition : chaque vendredi les mineurs
viennent honorer TIO, le dieu de la mine qui vous attend au
fond d'une galerie. Cette statue à taille humaine a deux
belles cornes sur la tête, les bras grands ouverts et un
sexe des plus proéminent ! Le vendredi les mineurs viennent
l'arroser d'alcool, lui faire fumer une petite cigarettes
et le couvrir de feuilles de coca. les femmes ne
travaillent pas dans la mine et certaines coopératives
n'acceptent pas les visites de femmes. Poussière,
atmosphère chaude ou froide selon les endroits, passages
glissants, fils qui courent le long des galeries sans
étais, flaques d'eau, trous d'accès à d'autres niveaux...
tout un réseau de galeries que seuls les mineurs
connaissent. Deux sortes de visites : celles qui déambulent
sans changer de niveau et celles qui vont emprunter les
échelles et puits de passages dans les profondeurs ! Trois
classes de salaire journalier : 50 bs (bolivianos) pour
celui ou celle qui travaille dehors, 100 pour celui qui
charrie le minerai, 150 pour celui qui creuse et 200 à 250
pour le propriétaire qui décident des filons et supervisent
l'équipe. 1 bs = 1 ct d'euros. Chaque semaine 2 à 3 mineurs
meurent de maladie, la silicose le plus souvent. Les
accidents seraient plus rares dit-on, une quinzaine par an.
Au centre ville la Casa de la Monada raconte la découverte
de l'argent qui a d'abord été exploité à ciel ouvert.
Lorsqu'il a fallu creuser des galeries, les populations
indiennes ont été requises soit dans la mine soit à
l'extérieur pour creuser de grands bassins d'eau. La main
d'oeuvre manquant, l'esclavage africain est venu en renfort
dans des conditions inimaginables : jusqu'à 4 mois passés
dans le fond de la mine juste alimentés par la coca et
l'alcool. En sortant il fallait bander les yeux sous peine
de perdre la vue. On comprend facilement que le chiffre de
8 millions de morts soit avancé. Tout cela pour enrichir
l'Europe, la couronne d'Espagne en particulier sans oublier
l'Eglise. Sur les 8 Humer, véhicules hors de prix , qui
existent parait-il en Bolivie, 3 sont à Potosi... misère et
grandes fortunes.
La route des jésuites en bolivie
Ils seront venus
au coeur de l'Amazonnie bolivienne. Les jésuites ont
implanté une dizaine de couvent au coeur du territoire des
Chiquitos. Leur optique se démarquait des autres confréries
religieuses : évangélisation avec respect des savoirs et
coutumes locales. Une sorte de coopération avec les
cultures indigènes. Il en reste des traces fortes dans les
productions locales qui allient originalité et qualité. Les
jésuites auront été expulsés par le pape à la demande de la
couronne d'Espagne. les franciscains auront pris le relais.
Javier, Ignacio, Conception,... les missions se succèdent
au coeur de l'Amazonnie, nous ne verrons que la plus
ancienne (San Javier) car la pénurie de carburant nécessite
de gérer ses litres de diésel. Dommage !
Surprises boliviennes
Découvrir un
nouveau pays demande toujours quelques jours : comment vit
on ici, quelles sont les activités, comment les gens
conduisent et "se conduisent"... il y a des contrôles
policiers : que veulent ils ? etc... En Bolivie nous avons
été surpris par les nombreux contrôles de police qui
demandent invariablement "d'où venez vous ?" comme si sur
cette route droite on pouvait venir d'ailleurs que du bled
précédent !!! mais bon, on s'y fait et c'est mon rôle
(Elisabeth) d'aller payer les péages ou de montrer les
papiers (heureusement les photocopies conviennent jusqu'à
présent). La feuille de coca est omniprésente : petit sac
dont on sort une poignée pour chiquer quelques heures cette
boule logée dans la joue... Surprise de voir ces visages
largement déformés par les boules de coca. Mais ce qui nous
surpend le plus est la difficulté à avoir des rapports
simplement cordiaux : visages fermés ou distants, humour
pas évident, côté franchement rugueux le plus souvent.
Certes, la vie n'est pas facile, c'est le pays le plus
pauvre d'Amérique latine. Nous faisons juste ce constat et
pour nous c'est un "manque à vivre des rencontres" sauf
quelques exceptions. A suivre, nous sommes en Bolivie
encore pour quelques temps.
Surprises péruviennes
- le Vietnam au
Pérou : partout dans le nord du pays et sur la côte
pacifique, il y a d'immenses rizières, tellement qu'on se
croirait en Asie du sud est. Ces rizières appartiennent
pour la plupart à de grosses compagnies internationales qui
font travailler les locaux pour un salaire de misère. Ce
sont par ailleurs les seuls espaces sur lesquels nous avons
vu des tracteurs.
- le désert : toute la côte pacifique du Pérou est un
immense désert de sable ou de roches sur une bande de 25 à
250 km au pied de la cordillère des Andes. Les gros
conglomérats agricoles achètent des "portions de désert", y
acheminent l'eau des montagnes et développent des cultures
variées : piments, artichauts, ceréales et autres légumes
pour l'exportation... impressionnant de voir le désert de
sable devenir soudainement d'un vert intense.
Les coups de coeur au
Pérou
Tout d'abord la
gentillesse des péruviens ! alors qu'on nous avait parlé en
sens contraire à plusiers reprises. Toujours prêts à nous
donner de l'information avec plein de détails. Un immense
et chaleureux sourire, une solide poignée de main...
D'autres surprises agréables :
- la vue de près, en plein vol des condors du canyon de
Colca, le plus gros oiseau de la terre
- des centaines de vigognes, lamas et alpagas qui broutent
sur la pampa et les hauts plateaux
- les routes de montagne, pas bien plus larges que Pgaz,
qui nous offrent des paysages insensés
- le lièvre écureuil avec sa longue queue en spirale et ses
petites oreilles qui se chauffe sur les rochers
- les îles flottantes du lac Titicaca : certaines
communautés jouent à fond la carte touristique, d'autres
n'accueillent personne
- le petit village perdu d'Ichuna qui n'avait pas vu de
camping car, et la curiosité des habitants
- les mystérieuses lignes de Nazca qui gardent leur secret
ainsi que l'immense candélabre de Paracas
Les îles flottantes du
lac Titicaca, côté péruvien
Un lac immense,
peu de plages et des eaux franchement froides, quelques
îles "en dur" agréables à découvrir tant du côté péruvien
que du côté bolivien et les fameuses "îles" flottantes" !
Le roseau totora que l'on retrouve aussi sur la côte nord
du Pérou sert de matériaux unique pour constituer la base
de lîlot, les cabannes, les barques, les abris pour
cuisiner. Au fur et à mesure que le totora se tasse, on
remet une couche fraiche et c'est reparti pour quelques
temps. On peut manger le coeur du totora avant de l'étaler
par terre, on peut assembler les roseaux pour faire des
nattes, des clôtures. On tangue légèrement en marchant sur
ce sol mou et attention aux bordures, le pied prend vite
l'eau ! Les iles sont fixées avec des pieux, comme l'ancre
d'un bateau et si on veut changer de voisinage, un coup de
scie pour trancher l'épaisseur des roseaux, environ 60 à 80
cm et hop on tire l'ile plus loin ! Du temps de Fujimori
des panneaux solaires ont été installés et la télé marche
ici comme en ville. Certaines îles commercent à fond avec
le touriste, d'autres n'acceptent pas les visiteurs. Les
femmes ici sont imposantes, voire énormes mais pourquoi,
c'est difficile à demander : manque d'excercice dans un
îlot de 200m2, nourriture peu variée, consanguinité... cela
reste à creuser.
Santa Catalina.. un
couvent ?
Une jeune veuve
fortunée Maria de Guzman fonde en 1580 un couvent
d'exception, réservé aux filles des grandes famille
espagnoles. Celles ci venaient avec 4 servantes ou
esclaves, disposaient chacune d'un logement personnel avec
cuisine, salon de musique... Trois siècles de belle vie
derrière une clôture étanche aux mouvements de la ville.
Flora Tristan y séjourna avec plaisir elle aussi. Puis
arrivèrent les "rappels à l'ordre" du pape qui renvoya les
esclaves et récupéra les dots de ces dames et du maire en
1970 qui exigea une plus grande transparence et une
ouverture au public. 30 nonnes vivent encore sur place mais
le couvent se visite au gré de ses ruelles, cloîtres et
fontaines. De chaudes couleurs rouge et bleu sont un
enchantement pour la vue.
Les français au Pérou
Surprise de
taille, l'invasion de voyageurs français au Pérou. Habitués
à croiser des groupes souvent allemands nous sommes
enchantés de ces contacts avec des compatriotes : le
plaisir de parler sa langue, d'échanger sur la route, les
sites, les bonnes adresses, voire de prendre un repas
ensemble ou de se retrouver quelques jours plus tard !
C'est une façon de se sentir un peu entre amis ! Valérie et
Sophie, Ingrid et Nicolas, Anné Hélène et Sylvain, Sabine
et Nicolas, Albanne et Camille, Chistine et John, Françoise
et François... le vif plaisir de la rencontre ! et aussi la
surprise de retrouver d'autres voyageurs en camping car :
Carla et Heiko, Claude et Erika !
Routes, chemins, pistes...
En voiture! On
part! Par quelles routes? Vous dites routes!? Peut-on
parler plutôt de pistes, presque de sentiers!?! En fait, il
n'y a qu'une route pour l'Amérique du Sud et elle porte
pour nom Pan American Highway (PanAm), encore que certains
tronçons, surtout en montagne, ressemblent plus à du
"patchwork goudronné". Donc, en premier, la PanAm asphaltée
ou autopista (autoroute) près des grands centres. Puis en
second, la carretera pavimentada ou route secondaire pavée.
Attention avec ces routes secondaires: l'alphaste date
souvent de 10 ou 15 ans et l'épaisseur n'est pas plus de
trois centimètres. Donc, après 2 ans, fissures et petits
trous apparaissent; après 5 ans, trous géants style
baignoires d'éléphants; après 7 ou 8 ans, quelques petits
morceaux de goudron apparaissent encore ici et là; enfin
après 10 ans, cette belle route jadis asphaltée est devenue
le 3ième genre de route, soit une carretera afirmada (route
en gravelle toute température). En ce qui concerne une
nivelleuse pour applanir la tôle ondulée ou planche à
laver, on ne connait pas cela par ici. Donc, soubresauts
continus. Le camino carrozable (chemin carrosable) vient en
quatrième position,chemin généralement utilisé en dehors de
la saison des pluies - difficile à sec, imaginez son
apparence quand il pleut. Enfin, il y a les pistes et
sentiers que l'on retrouve surtout en montagne, en dehors
des sentiers battus, où l'utilisation du 4X4 est le plus
souvent de rigueur et où la largeur de la route n'excède
généralement pas la largeur du véhicule avec la montagne
d'un côté comme appui et le précipice de l'autre qui
n'attend qu'à vous avaler... Partout, sur toutes les
routes, en plus des trous et des baignoires, il faut
continuellement surveiller les retardateurs de vitesse
(speed bump, tope, rumpe muelle ou giva) souvent non
annoncés, les centaines de personnes et d'enfants qui
marchent sur le bord, les motos, les vélos, les vaches,
cochons, chèvres, ânes, mûles, chiens par centaines,
poules, lamas, alpagas, pétrolettes (style triporteur), les
bus et taxis conduits par des dérangés mentaux, sans
oublier les flics qui nous arrêtent occasionnellement pour
tailler bavette (ça veut dire "jaser" en bon québécois); il
y a aussi les puisards sans couvercles et les pierres
laissée sur la route par les bus et camions qui utilisent
les pierres comme cale-freins lors des réparations sur la
route mais qui oublient de replacer ces roches sur le côté
quand ils reprartent. Oui, il y a un gros effort pour
améliorer le système routier, mais les fonds manquent - on
fait des bouts de routes neuves mais on ne les entretient
pas par la suite - donc détérioration rapide. Voilà un
apperçu bien sommaire de ce qui vous attend si vous désirez
conduire au sud des Etats - Unis... Bonne
route.
Emerveillement OU...
Tu connais E.T, n'est-ce pas, ce
merveilleux petit martien héro d'un film, perdu un jour sur
notre bonne planète! Maintenant, imaginez que vous
conduisez votre véhicule sur une petite route et que
soudain, un soucoupe volante, qui vous suivait à votre
insu, vous passe par dessus et vous précède maintenant et
qui plus est, E.T apparaît à la fenêtre du véhicule spatial
et vous salue... Quelle serait votre réaction?
Emerveillement, crainte, surprise, perplexité, scepticisme,
effroi, incrédulité, ébahissement, stupéfaction,
exitation... Hé bien! c'est ce qui nous arrive quand P-Gaz
se pointe le nez dans un petit bled perdu, surtout en
montagne ou dans les petits villages hors des sentiers
battus, ce qui nous arrive plus souvent qu'autrement.
Certains nous saluent, d'autres pas, certains reculent ou
se cachent, quelques-uns nous crient après; chose certaine,
tous nous suivent des yeux avec beaucoup de points
d'interrogations. Tout cela à cause de P-Gaz qui ne passe
pas inapperçu. Parfois on nous prend pour des
missionnaires, une ambulance ou encore pour le minibus
qu'on veut arrêter pour monter dedans... Autant de moments
d'échanges amusants et sympathiques... Vive P-gaz...
Voyage et voyageurs
Le voyage est
l'expérience de la solitude, de la modestie et de la
dépendance ! Vivre loin de ses semblables, être regardé
comme venant d'ailleurs parfois de la planète Mars ou Vénus
selon les goûts, passer pour un touriste dès lors qu'on a
quitté son département d'origine, ne pas saisir les
subtilités de la langue parlée, avoir besoin d'aide pour
des choses banales comme trouver son chemin, de l'eau, une
poste, un endroit pour dormir... changer de place, souvent.
Se perdre dans les étals pour trouver un aliment de base
qui ne s'appelle pas de même ailleurs ou qui est différent
sous la même appellation ! Le voyage c'est la rencontre.
rencontre fugitive d'un échange sur la route, rencontre
plus profonde d'un temps passé ensemble, rencontre attendue
d'un contact donné par un ami ou une connaissance...
Et la rencontre particulière d'un autre voyageur : on se
sent alors en terrain connu ! d'où viens tu ? comment va la
vie ? as tu besoin de quelque chose ? quel plaisir de
parler dans sa langue, d'échanger sur les réalités de la
route..." la rencontre d'autres voyageurs, nous disait
Joachim de Hambourg voyageant avec Ute vers le nord, c'est
comme retrouver de vieux amis", l'intensité du contact est
toute suite là. Moment rare, dense, où l'on perçoit l'autre
spontannément, sans fards ni conventions. Je me souviens de
la plupart de ces rencontres et le plaisir est vif de
recevoir des nouvelles... parfois par d'autres voyageurs !
Luxe : se revoir ! C'est ainsi que nous aurons revu
Katarina et Oliver 3 fois depuis l'Alaska, avec Dom et
Diana canadiens rencontrés au Guatémala nous aurons partagé
un container commun vers la Colombie, Paul et Brigitta nous
nourrissent au moment où j'écris ces lignes... ils
dégivraient leur frigo à Cartagena et nous avons hérité du
bacon congelé ! Marc et Erlindé de Belgique voyagent sac au
dos vers le nord avec notre Lonely Planet d'Amérique
centrale et nous profitons de leurs contacts en Colombie.
Plus anciennes sont les rencontres de quelques suisses,
Markus, Armin et Marisol, d'Erik et Martina des hollandais,
Yon et Leone des sud africains sur la route depuis 9 ans,
Aldo et Cristina italiens en route depuis 6 ans, Mario et
Martina, des allemands, Christelle et Jeremy de jeunes
français en vélo pour deux ans autour du monde rencontrés
au Costa Rica... en fait ce sont des européens pour la plus
part, sauf Hector le québecois rencontré hier juste avant
de quitter la Colombie... Internet facilite bien les choses
et nous gardons ainsi le contact avec certains d'entre eux.
Si la rencontre est intense et riche en émotions, sans
doute est il difficile de voyager ensemble, tellement le
rythme de chacun, les centres d'intérêts, les habitudes de
route sont personnelles. Nous n'avons pas encore
expérimenté cela.
Un début d'apprentissage en molas ! juin 2007
Mélanie me fixe
un premier rendez vous le lundi matin à 11h, je prépare ma
petite trousse à couture et prends le paquet cadeau de
tissus colorés. Mais à 11heures elle me dit que ce n'est
pas possible de rester sur le marché et que je dois revenir
à 5 heures, elle m'enmènera chez elle et on aura "toute la
nuit" pour répondre à mes questions. OK ! Je sens sa
prudence vis à vis des autres. Bon, c'est ainsi ! Au final
après avoir récupéré son fils, sa soeur et le nourrisson de
la soeur, mis une bache sur son mini stand, nous voilà
parties le long de la route vers son gîte. "Pas de
chaises", me dit elle en entrant, elle loue deux petites
pièces sombres avec un WC, une douche mais pas de
possibilité de faire de la cuisine. On se dit qu'on est à
l'abri du vent et de la pluie ! Il y trois lits en guise de
mobilier. On tire un matelas dans la petite entrée et nous
voilà à pied d'oeuvre. Mélanie inspecte ma trousse de
couture et rigole on a le même dé et cela fait clic clic de
son doigt au mien. Son fils sort son cahier d'école, sa
soeur est déjà à l'ouvrage sur une série de petites pièces
commandées en 20 exemplaires pour la fin de semaine. Quel
doigté : chaque point est précis, serré, les formes
s'arrondissent régulièrement, la pièce prend forme.
L'éclairage est franchement lugubre avec cette ampoule qui
descend du plafond. J'avais apporté une lampe de poche
frontale, j'éclaire sa soeur qui avale les points plus vite
qu'une machine à coudre !!! Je me rends compte peu à peu
des difficultés : prendre les différents niveaux de tissus,
retourner délicatement avec l'aiguille la partie qui va
être cousue, ne couper le tissus que par petites portions,
commencer par l'extérieur et coudre "en montant", toujours
avoir la partie neuve au dessus. Le pouce et le jeu
d'aiguille suffisent à mettre en forme le tissus travaillé.
Sommes loin de l'équipement des ateliers patchwork nord
américain avec les tables, planches adhésives, fer à
repasser, colles éphémères, lampes orientables... Mélanie
me dessine un motif géométrique et allons y ! rires et
commentaires amusés ! je cherche ma voie et peine dans les
angles droits ! tout cela entre deux tétées et la
répetition des leçons pour demain. La soirée avance, la
soeur est toujours aussi active, Mélanie est fatiguée, le
bébé dors par terre sur la couverture, le fils est allé se
blottir sur le grand lit et Mélanie me fait signe :
"regarde, il dort à côté du paquet de bonbons que tu as
apporté !" silhouette d'enfant endormi avec ses bonbons !
la soirée continue et Mélanie me demande des phrases
simples en anglais pour entrer en contact avec les
touristes... trouver les expressions justes et faciles à
prononcer pour elle. Encore des rires sur les expressions,
les intonations, la soeur continue toujours son ouvrage
sans participer à cette séance linguistique scrupuleusement
transcrite sur un grand cahier. Un frôlement sur le pied,
je découvre le premier passage de cafards, ils sont gros
comme le pouce et pas gênés ! Quelques coups de sandales
arriveront à en scratcher deux ou trois mais la relève est
immédiate. On continue encore quelques échanges
couturo-linguistiques puis la fatigue est plus forte. Dodo
! J'apprécie mon drap de couchage et me fais un petit
oreiller de mes habits enroulés. Au plafond sèchent les
petites chemises blanches de l'uniforme d'écolier. Quelques
vêtements et objets personnels dans un coin et c'est tout.
Mélanie vient s'enrouler dans un drap sur le grand lit à
côté de son fils. Sa soeur dort à côté avec le bébé. Pas de
pluie, la tôle est restée silencieuse cette nuit là. Je
n'ai pas pris de photos. Les images restent inscrites en
moi. Je retrouverai Mélanie plus tard sur le marché avant
de reprendre la route avec Jacques.
Les "molas", Panama mai 07
Il y a trente
cinq ans à Paris, je recevais d'une amie colombienne deux
"molas" et j'avais été fascinée par cette technique de
couture si haute en relief et en couleur. Les molas font
partie du vêtement traditionnel des femmes Kuna de
l'archipel des îles San Blas sur la côte nord du Panama.
C'est une région qui a conservé non sans mal son art de
vivre : langue, habitat, vêtements et surtout façon d'
administrer son territoire. Certaines de ces îles ne sont
pas habitées mais appartiennent à la communauté et il ne
sera pas question d'en vendre tout ou une partie. On
reconnait facilement une femme kuna : un foulard rouge sur
la tête, un anneau serti à la base du nez, une blouse
comportant ses deux molas, l'un devant et l'autre derrière
avec des motifs similaires mais pas nécéssairement
identiques, un paréo autour de la taille au motif du
village d'origine avec de fins bracelets de perles en
abondance. Ces bracelets sont portés aux poignets mais
aussi sur les jambes remontant de la cheville au dessous du
genoux. Un vêtement haut en couleur. Le mola est donc un
rectangle en tissus de couleurs vives, de la taille d'un
set de table offrant un motif symbolique sans complexe :
certains molas sont médicinaux, animaliers, politiques,
religieux, géométriques. L'imagination des femmes kunas qui
les fabriquent est débordante. L'humour se glisse dans les
motifs pour qui sait les regarder. Les molas sont fabriqués
par paire car cette pièce fait partie de la "blouse"
(traduction de mola) avec un mola sur le devant et un autre
sur l'arrière de la blouse. J'avais eu l'occasion de
trouver en France quelques livres sur le sujet et j'avais
gardé l'envie d'en apprendre plus, "quand j'aurais le
temps". Le temps est venu et me voici au Panama à la
recherche d'une femme qui voudrait bien m'apprendre un peu
de sa technique. J'avais amené de France un gros sac de
tissus de différentes couleurs à donner en échange de cet
apprentissage. Le marché d'El Valle, un dimanche matin :
choc de voir des molas par dizaines sur tous les étals. Je
regarde tout : les motifs, combien de tissus sont
superposés, la finesse du point, la mise en forme du motif,
la variété des coloris, est ce un vieux ou un neuf... Je
parle avec les femmes et cherche une "bonne volonté" qui
accepterait ma présence. Plusieurs d'entre elles cousent
sur place, je regarde et questionne. Pas vraiment
d'enthousiasme pour répondre à ma demande comme si cela ne
se faisait pas de divulguer le savoir faire. Bon, je
comprends. Je continue ma tournée et reviens finalement
Mélanie accepte. à suivre...
Dos à dos/nez à nez, Granada mai 07
Granada, nous
sommes au Nicaragua, les cousins à qui nous avions envoyé
un petit mail voici quelques temps n'ont pas répondu. Peut
être n'ont ils pas reçu notre message ou bien ils sont au
plus fort de leurs travaux d'installation car ils ont
quitté Genève pour Granada voici 4 mois. Nous décidons de
venir consulter nos mails une dernière fois ce matin avant
de quitter la ville. Nous allons dans un cyber café sur la
place principale mais il y a des tonnes d'autres
possibilités. On s'installe avec notre micro sur une petite
table à gauche de l'entrée, sur la droite il y a une
batterie de postes informatiques tous occupés. Le Wi Fi
marche bien, le café est super bon, c'est jour de coupure
d'eau et il y a un cadenas sur la porte des toilettes...
pas de nouvelles des cousins, tanpis, on effectue
l'actualisation du site, tout passe correctement, on
vérifie en consultant à nouveau et soudain : "c'est vous
Elisabeth et Jacques ?"surprise totale... Laurent, le
cousin est là en chair et en os avec Tania au pull orange
qui occupait une des places sur la droite... on avait bien
vu le pull mais pas la personne qui était en train de
consulter notre site... merci les photos et heureusement
que Laurent s'est retourné vers la gauche !!! vous imaginez
la suite joyeuse de cette découverte originale in extremis
! Une bonne pizza, une baignade dans un lac volcanique bien
tempéré, la visite de la maison de Tania et Laurent toute
en couleur un diner bien arrosé et on a repris la route le
lendemain tout joyeux de cette rencontre haute en couleur :
meilleurs voeux d'installation à Laurent et Tania. Ils
développent une activité de "voiturage" pour les visiteurs
qui ne veulent pas attendre les bus et veulent faire leur
itinéraire sur mesure avec un petit bus qui les conduira où
souhaité. Une formule qui devrait plaire aux voyageurs
européens venus en petit groupe.