TEXTO :
impressions, réflexions, dans le désordre (année
6)
Tout
recommencer
Quelques
réflexions personnelles, toutes personnelles sans autre
ambition que celle du partage. Ai vécu aux côtés de mon
frère, il y a 8 ans, de ma soeur il y a 8 semaines, la
traversée d'une chimiothérapie lourde. Peut-elle être autre
que "lourde" ? Un vrai anéantissement, un rouleau
compresseur qui lamine, lessive, réduit la personne à vivre
le quotidien minute par minute, heure par heure, demi
journée par demi journée. Prendre une mini décision est
fatigant. Faire une démarche est épuisant. Avoir un projet
est exorbitant, hors de portée. Deux attitudes :
s'impatienter de ne pouvoir pas encore faire ceci ou cela
en pensant pouvoir revivre normalement le plus vite
possible ou accepter cet état de fait tranquillement en
laissant venir les choses. Réfuter ou accepter. Vu de
l'extérieur, tout se passe comme si la maladie, la chimio
"efface l'ardoise" de la vie. Va vous chercher au plus
profond de votre être, bouscule l'identité, interpelle
l'image de soi.Tout recommencer. Après la chimio il s'agit
de reconquérir son estomac, son souffle, ses forces, ses
idées, ses envies, ses sensations, ses projets... à un
rythme que l'on ne maîtrise pas. La fatigue tombe, abrupte,
sans prévenir, énorme ou passagère. Là encore, refuser en
se disant qu'on va gagner du temps ou accepter en ne se
disant justement rien du tout. Choix personnels, choix
intimes que l'on ne peut qu'observer, respecter,
accompagner du mieux de notre disponibilité affective de
"bien portant". Etre présent, sur place ou à distance.
Aimer et l'exprimer le plus discrètement possible car
l'essentiel se passe ailleurs. Mettre de côté ce que cela
brasse en soi, aller regarder sa propre "ardoise de la
vie". Vivre le moment présent. Partager.
S'informer,
mais comment ?
Pas
question de trouver un journal au coin de la rue ou d'avoir
accès à des émissions régulières de radio ou TV permettant
de "s'informer" sur ce qui se passe dans le monde.
Le monde
étant écartelé
entre le pays où nous voyageons, nos pays d'origine et la
planète ! Qu'est ce qui m'intéresse ? Tout ! Surtout ce qui
permet de suivre et de comprendre les transformations,
terme plus neutre que les évolutions. Haïti, deux après,
est-ce toujours la même misère sans nom ? Pourquoi les
volcans deviennent plus actifs ici et là ? Que se passe
t-il effectivement au Soudan ? Comment va la France et
pourquoi Harper gagne t-il les élections au Canada :
assiste t-on à une mise en place pérenne de gouvernements
de droite/conservateurs dans les pays riches ? Richesse et
peur de l'autre vont ils de pair ? Pourtant la richesse se
construit sur le dos de l'autre. Et monsieur tout le
monde est loin d'être riche en
France. Les solidarités se diluent-elles ? La prise de
conscience s'indigne mais engage t-elle des actions ? Vaste
sujet. Pour revenir à l'information, les pages d'accueil
des serveurs de messagerie présentent des "nouvelles".
Consternant : conseils diététiques, évènements mondains,
figures politiques souriantes ou contrariées, sujets
croustillants mais vraiment rien sur ce qui se passe dans
le monde. Au menu, une phrase et une photo, zéro calorie
certes mais quelle pollution mentale. Consternant également
le soit disant dialogue ouvert à tous, l'information en
liberté, exprimez-vous, donnez vos commentaires : un flot
de jérémiades, de défoulement, des critiques gratuites ou
règlements de compte. Cela ne construit rien, ne fait
aucunement progresser l'information sur le sujet. Autre
source de pollution mentale.
Je suis allée voir les quotidiens en ligne. Un peu plus de
contenu, avec en constante, le lien entre une phrase et une
photo : les gens ne liraient pas des textes sans photo ? Au
comble de la paresse visuelle, il faut d'abord accrocher
l'attention avec un cliché puis enfiler quelques lignes,
vite coupées (... voir suite de l'article) ? Consternant là
encore ! L'apport de fond est réduit voir inexistant, pas
de mise en perspective, pas d'explications, pas de vrai
commentaire. Est-ce encore de l'information ? Où sont
passés les journalistes ?
Mon seul anti-dote depuis 6 ans va vous faire rire. Je
pouvais lever les yeux au ciel et admirer les nuages, car
tout passe, après la pluie, le beau temps et vice versa
! Nec fluctuat
mergitur, la devise de Paris ! Mon
anti-dote est un mensuel français, traduit en plusieurs
langues. Je les emporte lorsque je reviens au pays car j'ai
abonné mes enfants pour être sûre de tous les trouver. Et,
plus tard, bien après la date de parution, je peux me
plonger dans un article de fond sur des sujets tels que :
le printemps arabe, le cyber sex, la culture au Burkina
Faso, les banlieues, la bande dessinée, la crise financière
et l'impunité des banques, l'économie chinoise, les OGM,
les ONG et tutti quanti, autant de sujets variés sur
lesquels des journalistes, des chercheurs ont creusé et
élaboré un point de vue. Point de vue que l'on peut
partager ou réfuter. Là je trouve matière à réflexion. Son
nom de code, MD, pour le Monde Diplomatique.
Aventures
en Loire, (*) Bernard OLLIVIER, Ed
Phébus
Bernard
Ollivier est un grand voyageur, il voyage à pied, sans se
ménager, à fond dans l'inconnu des rencontres et des
reliefs. Compostelle, la route de la soie, la Loire... et
combien d'autres trajets, sac au dos. Les pages 22 à 25 de
son dernier livre (*) nous ont touché par leur fantastique
pertinence. Extraits :
"Il y a quelque temps, j'ai commencé une sorte de
dépression légère qui résultait de cette constatation : je
devenais "vieux". Mot terrible, cousin d'effacement et fils
de renoncement. Pourtant j'accepte ce vocable et ce
devenir. Je sens bien, depuis plusieurs années, que cette
énergie qui m'a toujours propulsé vers le haut, et dont je
disais que plus on en dépense, plus on en a, s'épuise
malgré tout, lentement. Un épanchement goutte à goutte."...
"Tout comme j'ai compris, à 40 ans, que je n'étais pas
indestructible, j'ai désormais pris conscience que, peu à
peu, mes forces m'abandonneront."..."Approche l'heure où je
devrai céder la place. Mais comment ? Irai-je prendre un
"repos bien mérité" sous les arbres que j'ai planté ?
Mérité, ce n'est pas le mot. On devrait dire un "repos
forcé", comme les travaux. Je ne veux pas me reposer. Il
n'est de repos que dans la mort. Je ne la crains pas, elle,
ou plutôt je ne la crains plus. Mais la vieillesse ? Cette
vieillesse insidieuse, silencieuse, cette décrépitude qui
gagne millimètre par millimètre jusqu'au bord du cimetière.
Je veux bien que la mort vienne. Je ne veux pas que la
vieillesse me prenne, qu'elle m'ôte, sans que je m'en rende
compte, les forces, l'appétit, la virilité, l'énergie, la
vitalité."..."J'ai pesé le poids de mes ans, d'une vie
merveilleuse. J'attends sereinement la mort. Mais la
vieillesse, je ne vais pas lui tracer la route, lui
faciliter la tâche. Je vais me défendre. Elle gagnera sans
doute. Mais sans moi. Jusqu'au bout de mes forces, je veux
garder ma liberté d'agir, de découvrir, de m'émouvoir et
d'aimer."
Résolument plus cru, Willy, vieil oncle distingué,
s'exprime en deux mots : "la vieillesse, c'est une
saloperie".
Depuis
combien de temps voyages-tu ?
Nous
commençons notre 6è année, mais Claude et Marie Jo fêtent
leur 15è année et, la semaine passée, nous croisons Yan, un
cycliste britannique qui pédale depuis 16 ans,
principalement en Asie. Il retourne en Angleterre un mois
tous les deux ans. 180.000 km en 16 ans, ce que nous avons
effectué en 5 ans. Il a croisé Claude et Erika qui
approchent des 20 ans ainsi que le doyen des cyclistes, un
allemand qui pédale depuis 40 ans, a fait 600.000 km dans
tous les pays du monde et maintenant s'est donné le défi de
traverser chaque province des pays déjà visités. Le voyage
comme un mode de vie ?
Le
gardien des mots... no translation !
Nous
quittons la fraîcheur des montagnes Cameron en Malaisie et
voici soudain un troupeau de chèvres, le premier depuis
bien longtemps. Est-ce un berger qui garde les chèvres ou
un chevrier ? Nous voici partis à la chasse des "gardiens".
Si le gardien des vaches est un vacher, le gardien des
poules est un poulailler alors le gardien du cheval est un
chevalier, celui des oies est un noyer et celui des canards
un canardier ? Dans un autre registre, le gardien des
épices est un épicier, celui d'un magasin est un
magasinier, sans oublier que le gardien de l'école est un
écolier et celui de la prison, un prisonnier. D'accord ou
pas d'accord ? Laissons tranquilles : le gardien de nuit,
le gardien de but et bien sûr le gardien de la paix. Mais
alors, le gardien de jour est sans doute un journalier, le
gardien de la loi, un loyer et le gardien du temps
certainement un templier ? Qui continue ? Les mômes à vélos
ont mordu à l'hameçon. Voici leur production :
Rencontres
Pas
facile d'approfondir un échange lorsque la langue commune
fait défaut. Les gestes, le regard, la présence
silencieuse, le jeu ou une activité partagée un moment vont
parfois faire vibrer l'échange. Ces instants restent gravés
avec, en toile de fond, un immense champ du possible qui
n'a pas trouvé sa pleine concrétisation. Le voyage nourrit
de ce qui est pourtant si fugitif. Pas de mémoire
photographique, la seule mémoire du coeur. A d'autres
occasions, la rencontre s'ouvre pleinement, dans
l'immédiat, dans la quasi urgence de profiter de ce moment
de face à face imprévu. Un cadeau qui survient au détour
d'une balade, au coin d'une table de restaurant, sur la
route lorsque une silhouette agite ses bras dans votre
direction ou qu'un autre voyageur surgit, etc. Il y a une
telle intensité dans l'échange que tout se place au plus
simple de la vraie rencontre. Peu importe qui tu es,
comment tu vis ou comment tu voyages, c'est ici et
maintenant que nous sommes ensemble. Il n'y a pas à "faire
connaissance", pas de préalables, pas de barrières, le
partage s'effectue sur le présent de chacun. Et, comme dit
avec humour Paul rencontré en Colombie il y a quatre ans,
les questions de base fusent : quelle route as-tu pris ? où
vas-tu dormir ce soir ? quelle est ta prochaine étape ?
Lorsque le temps le permet, l'échange va explorer les
moments forts vécus, les motivations du voyage, les
perspectives du retour, les problèmes en cours, etc.
Difficile dorénavant d'imaginer des relations avec des
"inconnus" redevenir conventionnelles ! C'est peut-être
cela aussi la "purge" du voyage ?
Rencontres
de rencontres
Dubaï, Markus (*) à gauche arrive d'Asie et croise Paul
(**) qui quitte l'Afrique en direction de l'Iran avec
Brigitta qui a pris la photo.
Nous
les connaissons chacun séparément et nous venons de
recevoir cette photo de leur part. Colombie, Cartagène,
juin 2007, Paul et Brigitta vont expédier leur véhicule
vers Panama alors que nous attendons le nôtre en provenance
de Panama. Deux soirées mémorables à l'hôtel Bella Vista.
Les cartes sont étalées sur les tables, les échanges
d'informations vont bon train. Paul me surprend, il a
planifié son itinéraire jusqu'à 2012, la précision suisse ?
Nos itinéraires se croisent, nos façons de voyager se
ressemblent. Nous gardons le contact et échangeons des
informations utiles, surtout ces derniers temps lorsqu'il
chemine vers l'Asie (accès en Iran, traversée du Pakistan,
shippings, etc). Nous avions rencontré Markus, un Suisse de
Lucerne, un bref moment sur le parking du Grand Canyon aux
USA en octobre 2006, sans autre contact ultérieur. Dix huit
mois plus tard, en Argentine, nous cherchons un bivouac
tranquille au bord d'un petit lac. Fin de journée, nous
allons marcher en forêt et tombons sur un autre petit lac
où Markus s'est installé ! Belle soirée sous un ciel
étoilé. La troisième rencontre fortuite avec Markus aura
lieu au Népal en avril 2010, nous le croisons, à pied dans
la rue principale de Pokhara. Bien d'autres rencontres
spontanées pourraient être évoquées dans leur contexte
original : Marc et Herlinde, Olivier et Katarina, Fred et
Anne, les Six en route, Claude et Erika, les Claventure, la
Tortue Sélène, Yann et Géraldine, Joëlle et Klaus, Claude
et Marie Jo, nos ornithologues favoris, Karine, Claire,
Séverine et ses complices parisiens, Hubert le motard aux
lunettes rouges, Christine et Marc, Nico et Ingrid, les
mômes à vélos, etc. La liste est bien plus longue et les
souvenirs uniques et intacts. Voir Liens.
(*) la Syrie a refoulé Markus, témoin potentiel des
dramatiques événements actuels ? 7 heures à la douane :
véhicule entièrement vidé, pneus démontés, inspection
draconnienne, il a pu entrer en Israël.
(**) Paul et Brigitta ont pris leur temps au Pakistan et
vécu des moments inoubliables sur la Karakorum
hightway.
Fin de
travaux
Journées
de solitude en bord de plage, du repos après les grosses
chaleurs et la semaine passée dans la capitale. Mais ici
aussi la chaleur est au rendez-vous, juste un peu atténuée
par la brise et les orages quotidiens. Lire ? Ecrire ?
Rêver ? Naviguer sur la toile ? Cette toile des liens qui
nous relient par la pensée sans le support d'une connexion
internet. Mes travaux de doudous
pour les
enfants recueillent toute mon attention. Moment de partage
avec eux. Ceux qui sont nés, Casimir pourra mettre sa photo
dans la lucarne de la locomotive, Anna-Belle pourra mordre
dans les initiales de son prénom et une poupée chiffon
pourra accueillir la petite soeur de Casimir qui s'en vient
en avril. Un doudou
home
made ? Raccourcir les manches
d'un Tshirt, tailler dans une taie d'oreiller, découper les
tissus achetés à Victoria l'été passé au Moon Quilt. Tout
se relie, les matériaux, les idées et les destinataires.
Chaque petit point est une pensée, un câlin, un rendez-vous
proposé pour plus tard, une immense disponibilité. Mais une
fois les doudous
terminés, je
constate que je n'ai pas de beau papier cadeau. Qu'à cela
ne tienne, je ferai des pochettes assorties ! Résultat des
travaux.
Quatre
lignes...
Quatre lignes, un court
message reçu de l'un d'entre vous, vous n'imaginez pas le
cadeau ! Une pensée qui se transforme en présence.
L'inattendu. Un moment de votre quotidien qui nous rejoint.
Trop souvent la censure pèse : "je n'ai rien de
sensationnel, pas de choses originales à raconter à vous
qui voyez tant de choses peu
ordinaires". Une frontière entre
l'original et l'ordinaire alors que tous les deux sont en
Or ?
Un secret
temporaire !
Surtout
n'en parlez pas à Casimir, sa grand mère s'est lancée dans
la confection d'un train "coup de coeur". Il ne fera que le
bruit de sa clochette attachée à la caboose. Il foncera
dans le blues du jeans qui lui sert de toile de fond et
soufflera de la fumée garantie biologique, à l'orifice de
sa cheminée jaune canari. Le plaisir, pour la grand mère,
de fabriquer un petit quelque chose qu'il pourra, s'il en a
envie, accrocher à son lit, y cacher ses trésors et
s'endormir en classe couchette. Mais il lui faudra insérer
sa photo dans le hublot du conducteur. Etapes et résultat
final. Avec ou sans bordure ? pas encore décidé !
Cela
ne tient qu'à un fil...
Un
coup de fil, avec la téléphonie sans fil, cela ne tient
qu'à un fil, pour ne pas perdre le fil sur le fil du
rasoir, au fil du temps ou au fil de l'eau, voici le fil
des choses, sans se donner du fil à retordre : un fil à
couper le beurre, un fil de pêche, un fil à la patte, un
fil de soie, un fil électrique, un fil conducteur, un fil
de trame et un fil de chaîne, un fil à plomb, un fil rouge,
un fil de fer, un fil d'Écosse, un fil de lumière, sans
oublier, en file indienne, le filiforme filament et le
filou filao sous le firmament des étoiles filantes. Mais
voici, en filigrane, la philosophe Philomène qui file le
parfait amour avec Philogène, un vrai rossignol philomel
qui est aussi le philantrope de la Philarmonique de
Philadelphie. Qui va reprendre le fil ?
La cousine de Blaise : "Punaise, j'ai un malaise" dit la
cousine de Blaise, une maltaise obèse et pas peu balaise à
l'aise sur son alèse ; "c'est de la foutaise, ces fraises à
la mayonnaise".
J'en connais un rayon : rayon de soleil, rayon des
antiquités, rayon de vélo, rayon vert, rayon alimentaire,
rayon X, rayon d'espoir, rayon d'action, rayon de miel,
etc. Qui dit mieux ?
Il n'y a pas de fumée sans feux, pleins feux sur : feu de
cheminée, feu de paille, feu de bois, feux follets, feu de
Dieu, feu céleste, feu au lac, feux d'artifices, feu au
cul, feu d'enfer, feu arrière, feu vert, feu rouge, feu
doux, feu vif, grand feu, feu de forge, feu de la Saint
Jean, feux de détresse, feux de braises, arme à feu, feu
Docteur Schweitzer...
Le
PIF ou nez en argot... (*)
Le "pif" ou nez en argot, il faut en avoir en
voyage pour sentir les situations, les gens, les endroits.
Ne pas se laisser guider uniquement par son rationnel, son
programme, les informations des cartes, des guides ou du
GPS. Mais le PIF est aussi, à mon avis, un
des risques majeurs dans le voyage longue durée. P
comme pression : résister à la pression continue
de l'inconnu, des situations stressantes dans lesquelles on
ne maîtrise pas grand chose (conduite automobile
éprouvante, arcanes administratives, attentes des résultats
d'une démarche, dialogue impossible avec une autorité mal
intentionnée, échéance incontournable, etc ). I
comme isolement : perdre le contact avec ses
proches, solitude sans rencontrer d'autres personnes avec
lesquelles parler sa langue, partager un moment privilégié
dans le voyage, sentiment de vivre en "solo duo" pour
résoudre les problèmes du monde et de la vie quotidienne !
F comme fatigue : le pire des aléas du
voyage, la fatigue qui s'installe sans qu'on la perçoive.
Cette fatigue qui va user les capacités d'enthousiasme, la
curiosité, l'attention aux autres, l'intérêt pour
l'environnement. On survit alors en mode exclusivement
fonctionnel. On passe à côté de la vie, à côté de
l'essentiel. Baromètre à surveiller comme le lait sur le
feu. La fatigue ouvre tout grand la porte à tant d'autres
aléas, bonjour les dégâts ! Mais, coup de chance, la
fatigue, cela se soigne ! Repos, rythme modéré,
ressourcement, vacances, etc. Le PIF
et ses ravages
donc, en voyage, il est vital de savoir prendre des
vacances dans les vacances, au bon moment.
(*) Ce
texte complète le PS 1 du Texto : Réponse à LA question :
comment faites vous pour vivre ensemble 24h sur 24h ?
10
secondes, il me manque 10 secondes.
Dernier jour de novembre, 9 heures du matin,
nous voulons faire quelques achats avant d'entrer en
Thaïlande. Nous allons nous garer sur le parking du
Carrefour de Butterworth. Parking désert, pas tout à fait,
une moto surgit derrière moi, le sac de commissions que
j'avais accroché à mon épaule est violemment arraché. Je
pars en vrille et retombe d'un bloc sur le nez. Je retrouve
mes esprits à quatre pattes par terre, sonnée, le nez
dégoulinant, la sensation du vide sur mon épaule gauche.
Les pensées reviennent, ça alors, j'ai été agressée. Est ce
que je suis entière ? Il me semble que mon nez part sur le
côté, est-il cassé ? Un gros point au plexus, du mal à
respirer, est ce que des côtes sont cassées ? Est ce que
mes poignets marchent encore ? Et la tête, a t-elle touché
le goudron ? C'est chaud le sang, pourquoi ne s'arrête t-il
pas de couler ? Au fait, qu'est ce que j'avais dans ce
foutu sac ? Des mouchoirs, un petit carnet et un stylo à
quatre couleurs... mauvaise pioche pour le voleur. Un
casque noir à rayure jaune, c'est la dernière image qui me
reste avant les 10 secondes de "blanc", si on peut dire !
Des voix, Jacques est là. Il m'installe dans Pgaz à
l'arrière. Les gardiens du centre commercial sont désolés
et vont nous guider vers l'hôpital voisin. Radios du nez et
du thorax, non rien de cassé, des mèches enfoncées dans les
narines pour stopper le sang qui coule. Le médecin voudrait
me garder 24h. Après 4 heures je négocie une sortie
anticipée. Nous revenons à Penang, à Way2, le centre pour
enfants autistes animé par Sylviane. C'est comme "un retour
à la maison", dans un endroit où nous avons passé de si
bons moments. Accueil chaleureux, cela fait du bien,
beaucoup de bien. Merci. Résultat fleuri, qui l'emporte en
délicatesse ?
Les jours suivants il semblait que tous les muscles de mon
corps se rappellaient peu à peu à mon bon souvenir.
Courbatures, articulations ankylosées, dos douloureux, etc.
Sorte de passage en revue général ! Tous se sont mobilisés
lors du choc, ont tout fait pour amortir la chute. J'ai
comme un corps "en chantier" qui se relâche, aspire à la
douceur de vivre. Prendre le temps de "faire respirer"
chaque cellule, de relier les zones, de retrouver
tranquillement mon intérieur chahuté. Merci Jean
Blaise.
Vous
êtes fous ! Mais pourquoi voyagez-vous ?? Et après ?!?!
Vous
êtes fous ! Combien de
fois avons-nous entendu ou ressenti cette réaction. Fous de
quitter la famille et les amis, le pays, la maison. Fous de
partir si loin dans l'inconnu. Fous de dépenser tout cet
argent en voyageant de la sorte. Fous de prendre tant de
risques physiques, économiques, relationnels... Fous d'être
seuls sur la route, sans l'appui d'un groupe, d'un sponsor,
d'un commanditaire ou d'un autre équipage. Fous ? c'est
fou, ça alors ! Effectivement, cela s'écarte des normes qui
sont habituellement, à notre âge, de privilégier la
sécurité. L'inconnu fait peur, il fait peur parfois même
dans son quartier. Dépenser tout notre argent ? Nous
dépensons moins en voyage qu'en résidant en France ou au
Canada. Nous vivons, en voyageant sans nous priver avec, en
moyenne, 30 euros par jour et par personne. Si on ajoute 30
euros pour l'amortissement de Pgaz sur 5 ans il nous reste
chaque mois encore une partie de notre pension de retraite.
Et les différents risques ? Il n'y a pas d'assurance contre
eux, ils existent, on ne peut pas les déjouer. Nous pouvons
seulement être attentifs et vigilants pour réduire les
risques majeurs. Nous avons appris à ralentir le rythme,
revoir l'itinéraire en éliminant certains pays ou sites,
opter pour des escapades sac à dos sans Pgaz, ou encore
comme l'été passé, apprécier des "vacances de voyage". Car
voyager en solo est une activité très exigeante. Chaque
jour il faut établir le programme et préparer la suite,
s'approvisionner, trouver un lieu de bivouac agréable ou
rouler vers la destination envisagée, trouver son chemin,
profiter du paysage et des rencontres, adapter
l'itinéraire, effectuer des démarches, se trouver un lieu
pour dormir tranquillement le soir, chaque soir. Rien n'est
acquis, certes l'expérience et le rodage après quelques
temps passés dans un pays permettent de développer des
réflexes et de mieux percevoir les solutions possibles,
mais tout reste très aléatoire. Disposer des points GPS
d'autres voyageurs est une indication précieuse pour se
trouver un lieu de dodo mais nous ne passons pas
nécessairement à la bonne heure, l'accès est peut être
fermé, il y a une fête villageoise ce soir... Compter sur
soi et sur sa bonne étoile ! Dans les pays sur-peuplés
comme en Inde nous avons eu recours aux parkings d'hôtels,
au Bangladesh, encore plus peuplé, nous avons sollicité des
ONG et toujours reçu un accueil chaleureux pour passer la
nuit dans le jardin.
Mais pourquoi
voyagez-vous ?? Aller
sur place, faire l'effort par soi-même de la découverte de
ce qui interpelle, de ce qui fait rêver, de ce qui n'est
pas toujours couché sur du papier glacé dans les livres ou
les revues. Aller vers l'Autre, l'autre culture, l'autre
personne, l'autre pays. Tenter de dépasser les clichés et
a-priori sur les peuples et les pays visités. L'information
ambiante qui circule "chez nous" est tellement différente
de ce que l'on peut observer sur place. Il y a tant de pays
dont on ne parle jamais dans les médias. Et le discours
diffusé est exclusivement centré sur les aspects négatifs
finissant ainsi par associer étroitement dans l'esprit des
concitoyens une position gouvernementale ou un événement
catastrophique aux habitants de ce pays. Cela arrange, de
mon point de vue, les médias et les gouvernements qui les
supervisent, de propager la peur de l'Autre à grande
échelle. Combien de fois, dans nos échanges de bord de
route, ces échanges avec les gens du cru, nous avons été
questionnés sur ce que pensent les Français ou les
Canadiens de leur pays. Peut être nous questionnaient-ils
parce que nous venions vers eux avec une attitude simple et
ouverte en commençant par un Bonjour ! L'Iran, la Colombie, le Pakistan, pour
ne prendre que ces trois pays visités font trembler la
planète. Oui, il y a des positions gouvernementales
extrêmes, oui, il a des trafics sauvages à grande échelle
dont profitent d'ailleurs nos pays respectifs avec les
ventes de produits licites et illlictes. Mais une fois sur
place, quelle attitude ont les gens vis à vis d'étrangers
occidentaux comme nous ? Les relations de personne à
personne sont en général de la plus grande simplicité,
humanité et courtoisie. Dans ces trois pays nous nous
sommes sentis acceptés, accueillis, parfois invités en
famille, objets d'attention : non, ne restez pas dormir ici, venez
plutôt là. Autant
d'occasions d'échanges absolument uniques ; de ces échanges
qui réduisent un peu les a-priori mutuels, qui tissent des
passerelles, des liens de personne à personne, qui seront
des jalons positifs dans la suite de la vie de chacun. Même
modestes et dérisoires, ces moments font avancer les choses
autrement que par la peur les uns des autres. J'investis de
la présence et j'y crois. De la Présence. De la présence de
personne à personne, allons-y pour les 3P ! Nous avons tant
d'images joyeuses en tête de défilés dans Pgaz : le village
entier vers Yadz en Iran, les femmes s'asseyant sur les
coussins en riant de voir l'eau courante à l'évier, les
moines du Monastère Bon tâtant notre couchage, le bus de
Colombie venu au complet après que nous ayons eu un si bon
échange avec deux de ses passagers, les femmes de l'école
de menuiserie à Baltit au Pakistan... Le témoignage vécu
marche dans les deux sens : ici je vous écris à vous qui me
lisez, là bas dans le village ou l'école vous parlerez aux
vôtres également. Certes il y a des zones dangereuses où il
ne faut pas aller, mais cela ne doit écarter le pays tout
entier de la découverte de ses habitants... parfois
tellement désolés du discours dominant sur eux, comme par
exemple cette réaction : alors vous n'avez pas peur de nous
qui sommes dans un pays musulman ?
L'expérience personnelle est éphémère, elle est unique,
elle est fragile et si riche en même temps. Elle est une
occasion fantastique de se découvrir, d'aller au fond de
soi-même, de s'ouvrir aux autres, de se défaire de
carapaces, de certitudes, de mettre à l'épreuve ses talents
et ressources les plus cachés. Les voyages forment la jeunesse et
testent la vieillesse, signé Elisabeth, 64 ans.
Les voyagent forment la
jeunesse et fortifient la vieillesse,
signé Jacques 70 ans. Il y a
toujours à choisir dans le voyage : impossible d'aller
partout, de tout voir ou tout vivre ! Il y a autant de
voyages que de voyageurs. Nous n'avons aucun état d'âme à
ce sujet et du respect pour chaque forme de voyage sans
modèle de référence, sans jugement, d'ailleurs au nom de
quoi ? Par contre, il y a d'authentiques
explorateurs
comme Caroline Riegel
rencontrée au Pakistan, impressionnante par son engagement
personnel si total et si dépouillé (voir ses deux livres :
Soif d'Orient et Méandres d'Asie aux éditions Phébus).
Quelle diversité de voyageurs à vélo, à pied, en véhicule,
en bateau... Ce qui fera la différence de l'un à l'autre
sera le moteur, la
raison d'être qui a fait quitter l'ancrage initial, larguer
les amarres pour un temps et la façon vivre le
voyage. Ecouter,
observer, échanger, chercher à comprendre et peut être
mieux se comprendre... nous vivons le même processus
lorsque nous rencontrons un autre voyageur. Et quel suspens
lorsque c'est une famille entière que nous croisons en
chemin ! (à
suivre)
Et après ?!?!
Vous serez totalement
décalés, impossible de vous recaser au pays, comment
allez-vous faire pour "rentrer" ? En effet, la question se
posera car je ne me vois pas voyager encore 12, 15 ou 20
ans comme nous en avons eu connaissance. Je ne me sens pas
devenue une nomade à temps plein. Rentrer ? est-ce comme
"partir", un choix de vie catégorique ? Il y aura du
"lâcher tout" : lâcher le voyage avec sa liberté de
mouvement instantanée, lâcher une casa rodante/maison sur
roulettes pour un
lieu fixe sans doute plus grand (pas difficile de trouver
plus grand !), lâcher le duo-solo et se retrouver les deux
au milieu des siens, lâcher l'inconnu total et retrouver du
"connu" qui aura lui aussi changé, rentrer avec quelques
années en plus, la même femme ou différente ?... bien des
paramètres. Pour le moment la question n'est pas à l'ordre
du jour, mais comme j'ai du temps en Malaisie en attendant
Pgaz dont le container sera bientôt disponible en
provenance du Bangladesh, je gamberge volontiers. Rentrer ?
Il me semble que ce sera une plongée dans du connu/inconnu.
Une page blanche à écrire sans copier sur l'épaule du
passé. Un dessin à composer le plus librement possible,
pour vivre au plus près de la nouvelle réalité personnelle
dans un environnement à considérer avec des yeux neufs. Il
y aura les étapes obligées avec les coups de tampons,
démarches et papiers à gérer pour revenir au pays. Mais
l'essentiel est ailleurs, dans les relations, dans la
disponibilité, dans les activités possibles. Retrouver ceux
qu'on aime, franchir l'écran de Skype pour vivre un gros
câlin, un peau à peau pour de vrai, avec l'émotion
fulgurante qui traverse toutes les cellules, mêle le rire
et les larmes. Sentir cette joie profonde qui enveloppe les
uns et les autres qui confirme une fois de plus la force de
ces liens venus eux aussi de si loin. Famille et nouveaux
venus dans la famille, amis d'hier et d'aujourd'hui, la
chance de pouvoir nourrir ces relations en direct. Serons
nous décalés ? Vous nous aiderez à nous "recaler" avec un
peu de patience, de tolérance et d'humour si nous cuisinons
avec trop d'épices, si nous sommes habillés d'une drôle de
façon, si nous parlons trop de "là bas", si nous avons trop
vite de nouveaux projets de ... voyages ! Il y aura aussi
le plaisir infini de parler sa langue au quotidien, d'aller
au café du coin, de lire, de s'informer, d'entrer en
librairie ou en bibliothèque, de retrouver le chemin du
cinéma et du spectacle, de remettre ses chaussures pour
marcher sur des sentiers dégagés et balisés... Il y aura
les moments de froid, le plaisir de mettre un pull, un
anorak pour marcher dans le vent glacé avec un nez rouge !
Il y aura les moment de solitude, le silence et l'isolement
propices à des retrouvailles avec soi même. Il y aura des
périodes de doute, se sentir perdu au milieu de tant de
facilités alors que la planète humaine souffre. Je pense
que le plus grand décalage tiendra là précisément :
pourquoi avoir tant ici et si peu là bas. Comment se
situer, comment agir : il y a "ici" aussi tant de misère et
de souffrance visibles et cachées. Rester dans la présence.
Ce sera un autre voyage dans son propre pays. Lequel
? That is the
question. Car
plus de maison en Terre Mère, pas d'habitation qui nous
attende au retour. Une particularité : au Canada, c'est
Jacques qui s'occupe du logement et de la voiture utile, en
France, c'est Elisabeth qui en a la charge. Chacun son
pays, chacun ses responsabilités pour la communauté. Je ne
peux esquisser qu'une demi-réponse, pour ce côté-ci de
l'Atlantique, réponse qui sera peut-être en temps partagé,
qui sait ? (à
suivre).
Tentative
de réponse à LA question : comment faites vous pour vivre
ensemble 24h sur 24h
?
LA
question, celle qui nous est posée si
souvent... comment faites-vous pour vivre ensemble 24h
sur 24h en voyage depuis tant d'années dans un espace
si réduit ? L'amour ??? Oui, oui, oui mais pas
seulement. Eh bien, après avoir interrogé Jacques et
réfléchi de mon côté, voici cinq éléments qui
pourraient être nos piliers pour le moment... avec
deux Post Scriptum de
relativité.
+
Un projet fortement partagé, appuyé par les
trois A : appétit de
découverte, accepter des conditions de vie
sommaires, assainir ses peurs. Chacun des deux a envie
de découvrir un bout du monde, même si nos centres
d'intérêts sont parfois différents. Devenir nomade,
c'est accepter dans la durée des conditions de
vie aléatoires, bien moins confortables,
stables et assurées qu'à la maison. Assainir
ses peurs signifie d'avoir "ouvert la boîte à
peurs", si j'ai peur de l'inconnu, tout étant inconnu,
je ne peux même pas partir de chez moi, donc si une
"peur" surgit, vite ouvrons la boîte : de quoi ai-je
peur concrètement ? ...très concrètement, souvent
cette question suffit à calmer le jeu et ne pas donner
prise à des peurs non-fondées. S'il reste quelque
chose, le dire simplement et l'aborder en "problème à
résoudre".
++ Une solidité personnelle, sorte
d'hygiène de vie, de discipline intérieure visant à gérer
par soi-même son état quotidien. Chaque matin démarrer la
journée de bonne humeur ou au moins au point neutre.
Prendre soin de sa santé physique, émotionnelle et mentale,
relier le corps, le coeur et l'âme. Se recentrer
sur les essentiels, pratiquer la méditation par
exemple pour moi (cela pourrait aussi être du yoga,
taï-chi, arts martiaux...), écouter la petite voix
intérieure. Ne pas laisser la fatigue prendre le
dessus. Cultiver la patience, la tolérance mais ne
pas tolérer ce qui menace ou détruit l'équilibre personnel.
L'attention envers soi mais aussi envers l'autre : comment
va t-il ? y a t-il des signes de risques liés à un trop
plein de fatigue, d'émotions, de tensions ?...
dédramatiser résolument, pratiquer
l'humour aussi souvent que possible.
+++ Entretenir le contact, le dialogue,
déjà entre nous deux au fil des jours :
met-on des mots sur nos ressentis ? a t-on vidé la boîte à
non-dits ? comment se dire les choses lorsque les mots
viennent difficilement ? si la parole est difficile, alors
écrivons. Contacts et dialogue avec nos
proches : comment vont-ils ? que vivent-ils en ce
moment ? qu'est ce qui s'annonce dans leur environnement ?
comment leur faire part de ce que nous vivons à distance ?
Ne pas inquiéter inutilement si les choses, de loin,
peuvent sembler alarmantes comme par exemple, le seul fait
de voyager en Colombie, en Iran, au Pakistan peut susciter
de la crainte. Contacts et dialogue sur la
route, avec les locaux rencontrés. C'est un de mes
trois ressourcement en voyage. La rencontre, l'échange, la
découverte des gens en chemin. Parler lorsque la langue
commune le permet, passer un moment ensemble pour découvrir
une activité en cours, partager une tâche, rire de mes
maladresses de grande débutante si je ne tamise pas la
semoule aussi vite ou si je ne pèle pas les betteraves de
la bonne façon ! S'asseoir ensemble au soleil, jouer avec
les enfants, gonfler des petits ballons et se les renvoyer
à la cantonnade... que vivent-ils ? comment font-ils face
chaque jour ? quel est l'avenir des enfants ? quels sont
leurs talents, comment réussissent-ils ces objets, ces
travaux...? Tout m'intéresse ! Le regard,
l'attention, l'observation servent aussi de dialogue
lorsque le contexte est limpide, sans autre enjeu
que celui de la rencontre de personne à personne.
Rencontres aussi bien sûr avec d'autres voyageurs ! Parfois
ce sont quelques instants ou quelques heures, mais
l'intensité de l'échange s'inscrit au plus profond dans le
coeur. Je peux décrire très précisément les moments passés
avec tel ou tel voyageur il y a deux, trois ou quatre ans,
moments qui ont initié un lien fort, très fort.
++++ Transformer les différences en
complémentarités : tout nous oppose, tout peut
être source de difficultés. Il faut construire avec ce
"tout" si explosif. Un homme, une femme. Un canadien, une
française. Un sportif avéré, une marcheuse du dimanche. Un
amateur de café, bière, spaghettis, bacon... au sirop
d'érable et une amatrice de thé, parfois vin, riz,
desserts...et chocolat. Un conducteur tout terrain, une
conductrice d'asphalte. Un ascète, une épicurienne. Donc...
comment s'en sortir dans un espace si réduit avec un
programme si commun puisque nous voyageons de concert ?
Nous avons défini des
territoires, territoires de deux
sortes : territoires physiques (mon
casier, ton casier de rangement) et territoires de
compétences ou responsabilités (le véhicule, les
papiers, la nourriture, l'entretien, les relations
extérieures, comme demander son chemin, parler à la
police...). Etre responsable, signifie que l'autre ne va
pas interférer, même s'il aurait bien volontiers proposé
une solution différente ! L'autre laissera faire ou se
mettra en posture de main-d'oeuvre disponible s'il sent que
cela peut aider positivement. La limite du "territoire" est
l'indispensable polyvalence pour se
relayer, s'épauler, s'entraider... Il faut conserver un
entraînement effectif pour être capable d'assurer la
"relève-minute" en cas de besoin. La seconde limite serait
le trop plein de charge perçu comme tel : si je prépare
l'itinéraire, comment y participes-tu ? L'un reporte sur la
carte-papier les informations clés du LP (guide Lonely
Planète), l'autre recherche des informations plus
historiques ou sociologiques. Encore faut-il se rencontrer
et confronter les points de vue.
+++++ Attitudes et qualités, en vrac :
enthousiasme et capacité d'étonnement, pragmatisme,
endurance, attention et vigilance dans la durée, confiance
en soi et dans l'autre, ouverture d'esprit et curiosité,
patience, tolérance, très grande tolérance entre nous,
vis-à-vis des autres personnes, cultures, mentalités,
réactivité pour saisir des opportunités ou réduire un
risque, connaître, très concrètement, ce qui ressource
personnellement et surveiller les seuils avant l'alerte
rouge. Mes trois principaux ressourcements
: le contact humain déjà évoqué plus haut,
vivre dans la nature et contempler la
beauté qu'il s'agisse d'un édifice, de montagnes,
d'espaces, d'objets, de savoir-faire, d'animaux, de tissus,
de couleurs, de jeux de lumières.... Je prends conscience
d'un quatrième ressourcement, l'écriture
photographique, écrire et photographier, relier textes
et photos.
Post scriptum 1, en pleine conscience
d'inachevé, il faudrait compléter ce descriptif
par celui des écueils et risques majeurs. Je veux évoquer
la fatigue, cette fatigue qui s'installe sans qu'on la
mesure nettement, s'insinue et grignote la vitalité comme
une chenille sur une belle feuille verte. Le risque peut
aller dans plusieurs directions : lassitude de la
découverte, repli sur soi, usure relationnelle oubliant les
basiques de la communication, vigilance émoussée,
somatisation...
Post Scriptum 2, en guise de conclusion :
ces cinq éléments ont été efficaces jusqu'à présent, mais
la formule peut évoluer. Alors, laissons ouverte la réponse
à la question initiale et attendons les réactions. Qui
commence ?
Sikkim
et Darjeeling Ouest Bengal (écrit par
Séverine)
J'accueille
ici les écrits d'une tierce personne avec un vif plaisir.
Une fois n'est pas coutume, je viens de recevoir les
impressions de Séverine Denis, rencontrée avec Joël et
Sylvie à Darjeeling, ils revenaient d'un voyage au Bouthan.
Une de ces belles rencontres qui vous marque. Séverine
écrit :
"Votre
voyage, tel que vous le concevez et le vivez, m'a
personnellement beaucoup touchée... moi qui suis un Sujet
aérien, sans cesse en mouvement et qui me recharge au
contact de la nouveauté au détour des multiples chemins, je
ne peux m'empêcher de "voir" dans notre croisement
chaleureux et vrai une sorte de signe intime qui a répondu
étrangement à une grande partie des questions que je
transportais avec moi au départ de mon propre voyage
organisé vers le Bhoutan et l'Inde de l'Est... étrange
magie de la Vie...
Découvrir les plus hauts sommets himalayens, enneigés et
mâtinés de dorures solaires fut un spectacle époustouflant
et les appareils numériques d'aujourd'hui, bien que très
commodes, ne parviennent cependant pas à restituer ce que
l'oeil, mais surtout le coeur, a reçu au moment où nos
regards furent magnétisés par le panorama qui s'ouvrait
devant nous à Pellim. Nous sommes redescendus le lendemain,
par la même route bien sûr défoncée comme toutes les
autres, en lacets interminables vers Kalimpong. Mais quelle
beauté encore que d'être entourés par une forêt de montagne
aussi dense et luxuriante ! Pins majestueux, eucalyptus
interminablement élancés, aloès géants aux longues feuilles
rayées gracieusement, hibiscus à fleurs doubles d'un rouge
éclatant ou carrément jaune effronté, lianes volubiles
étranges et enlaçantes, bosquets de cosmos blanches et
mauves surgissant sans prévenir au détour d'un virage aigu,
tapis verticaux de fougères aux longues tiges où se
déploient - ô merveille ! - un treillis végétal tout en
perfection géométrique, et puis aussi des tas de petites
fleurs discrètes blanches, violettes, jaunes, roses,
piquetées, dont on voit bien qu'elles ont une endurance
exceptionnelle derrière leur apparente délicatesse de
porcelaine. Je n'ai eu de cesse de m'ébahir devant ces
fréquentes cascades en dentelle aquatique dévalant les
falaises avec un énergie colossale. Et puis ces énormes
nuages veloutés qui descendent majestueux, dès le matin,
vers les demi-hauteurs montagneuses, baignant toute ville
ou village d'une atmosphère fantomatique dans laquelle on
rêve de plonger ! Oui, vraiment, lorsqu'on cesse d'analyser
et que simplement on regarde la totalité et l'infini du
vivant, on ne peut que se sentir vivant au plus intime de
Soi..."
Séverine DENIS
http://www.eyrolles-serveur.com/email_sp/54559/
Derrière les apparences, il y a toujours une autre
Vérité... Regarder la mélodie du vent et c'est tout...
Pourquoi résister au courant ? Lâcher prise et vivre en
harmonie...Porter l'eau pour le thé et le faire
totalement...Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas
et vice versa... Monnet est au Bhoutan aussi
!
Moments
privilégiés, mi-septembre 2010
Hôtel Summit à
Katmandou, un sas avant de reprendre la route avec Jacques,
deux journées de solitude, tout confort. Confort ? une
chambre tranquille, des fauteuils profonds sous les arbres,
du tchaï plein la théière, du temps pour se retrouver,
faire le point, ne rien faire et faire rien, ce qui est
tout à fait différent. Un entre-deux avec soi-même.
Plénitude de l'instant présent. Instants successifs, comme
dilatés de leur fuite continue. Et on est toujours là,
identique et différent. Le pétillant de la joie profonde,
joie qui est revenue m'habiter, signe des retrouvailles
avec soi-même. Cadeau, cadeau que l'on s'offre, parfois à
l'issue de remises en cause drastiques, de traversées du
désert décapantes ou de quarantièmes rugissants qui ont
fait avaler quelques tasses d'eau bien salées. C'est le
chemin. "On ne va
jamais aussi loin que lorsqu'on ne sait pas où on
va", Christophe
Colomb. Sans le nom de l'auteur, cette phrase
porterait-elle le même sens ?
10
jours au Tibet, en juin 2010
Courte immersion dans
la réalité tibétaine, venant du Népal : trajet aller en
voiture, retour en avion. Le tempo est donné dès la
frontière : fouilles et re-fouille, contrôles et
re-contrôles 10 mètres plus loin, guide obligatoire pour
suivre l'itinéraire pré-établi et chauffeur le nez sur le
guidon, "en voiture Simone, je conduis, tu la fermes et je
klaxonne". Bon ! Les paysages des hauts plateaux sont
saisissants, les villages éloignés ont encore leur
originalité avec des maisons différentes : chacun a son
enclos, son style de vie. Peu à peu l'architecture à la
chinoise ou à la soviétique va s'imposer : alignement de
maisons cubes, des trottoirs et le must, les blocs composés
du couple inséparable : garage ou commerce en bas et au
dessus, un logement mouchoir de poche. Les tibétains se
reconnaissent à leurs visages et leurs tenues
traditionnelles surtout les femmes. Plus on approche de
Lhassa, plus on voit des policiers, des militaires, des
gardiens... 5 par 5 ils arpentent les rues, les places, les
abords des temples, surveillent depuis les toits. Partout
une présence policière visible, massive sans compter les
surveillants en civil qui vont vous suivre si vous parlez à
des tiers. Circulez, circulez... ce que font une foule de
"pèlerins". Est-ce la dernière façon de pouvoir
"s'exprimer" en public ? partout des gens marchent le
moulin à prière dans une main, le chapelet dans l'autre.
Ils marchent d'un bon pas autour du Potala, des temples,
des monastères, des stupas... à toute heure. N'ayant pas pu
ou su établir, ne serait ce qu'une modeste relation
"humaine" avec notre jeune guide, nous avons été privés de
toute "médiation" possible de sa part. Il nous restait les
yeux pour observer, sans pouvoir questionner ni creuser...
et les oreilles pour écouter les autres guides,
attentionnés, informer leurs visiteurs.
Mai
2010, notre 5 ème année sur la route commence
Le 6 mai 2010, nous
entamons notre 5ème année de voyage avec Pgaz. En
totalisant l'ensemble de nos autres périodes de voyage soit
longues (comme cette année sabbatique consacrée au sud de
l'Afrique, à la Turquie, au Moyen Orient et au Canada),
soit courtes (en Scandinavie et au Portugal)... nous avons
vécu Jacques et moi depuis notre rencontre au Maroc en
février 2002, plus de temps en voyage qu'à la maison à
Lyon. So what ! Je n'ai pas de conclusion, j'ai seulement
en tête LA question souvent posée, "comment faites-vous
pour vivre ensemble 24h sur 24h ?" Nous avons appris à se
recentrer sur les essentiels ! La force et la fraîcheur de
l'amour constituent seulement un terreau, mais qu'en
fait-on ? Tolérance, humour, projet commun, relativité,
pragmatisme, patience, autonomie dans son "territoire",
tirer parti de la difficulté pour grandir... voici quelques
uns des ingrédients de notre quotidien. Sans oublier de
prendre des "vacances de voyage" régulièrement ! Cela peut
être un retour aux sources familiales et amicales mais
aussi une période de repos dans un environnement de nature,
une escapade sans Pgaz vers une destination intéressante,
quelques jours passés avec des personnes tellement
sympathiques... A titre personnel, l'écriture joue aussi ce
rôle de "vacances de voyage". Choisir dans la déferlante
des impressions, des émotions, des images, des
interrogations, tellement plus nombreuses que les réponses
récoltées, ce que je vais mettre en mots. Ecrire déjà pour
moi puis le partager avec ceux qui font l'effort de venir
lire ces lignes. Quel privilège de pouvoir écrire sans
contrainte ! Quel plaisir de choisir des photos à sa guise
! Quel cadeau de recevoir des réactions ! Et s'il n'y en a
pas, la joie profonde aura été dans ce vide, cette
"vacance", ce temps avec soi-même, cette prise de recul,
l'identification des sujets à creuser ultérieurement par la
lecture de livres, revues, documentaires. Entrer dans le
silence. Importance de fermer les yeux pour mieux voir ce
qui est advenu ! Avec cette immense insatisfaction de ne
pas forcément comprendre pleinement les choses entrevues,
senties, devinées en cours de route et au gré des
rencontres. Voyager soulève une multitude de pistes à
creuser comme la poussière s'élève sur la piste en passant
!
CHRONIQUES INDIENNES
1. Quelques mois plus tard, alors comment avez-vous trouvé
l'Inde ?
Un ami
me demande de mettre par écrit quelques impressions tout à
fait personnelles exprimées oralement. Ce texte n'est ni un
reportage élaboré sur la base d'enquêtes sérieuses, ni une
leçon de morale, ni un jugement sans appel sur des choses
vues en passant quelques mois en Inde. C'est l'expression
combien subjective et personnelle d'une femme de
64 ans, voyageuse roulant sa bosse dans le monde depuis 5
ans avec son compagnon de vie dans leur propre véhicule. Un
quotidien au raz des pâquerettes, loin des chaînes d'hôtels
étoilées, même si à l'occasion, nous avons trouvé un refuge
bienveillant et bienfaisant dans leur parking à côté des
chauffeurs dormant parfois dans leur véhicule.
Nous sommes confrontés chaque jour au quotidien de la
route, de la rue : nous conduisons et demandons notre
chemin, nous achetons les produits locaux sur les marchés,
nous lavons notre linge là où les gens lavent leur linge,
nous cherchons chaque soir un endroit tranquille et sécure
pour dormir sans stress et bien sûr nous allons à la
rencontre des gens et des sites à visiter. Il y a de
superbes sites en Inde. Nos outils de voyages sont les
cartes et guides (Lonely Planet), notre envie de découverte
et notre bonne volonté pour questionner les personnes
rencontrées au fur et à mesure. Nous n'avons pas de liste
d'amis dans les pays visités mais nous nous faisons des
amis lors de belles rencontres spontanées.
Le plus souvent ce sont des gens modestes, parfois de la
classe moyenne et très rarement de la classe aisée du pays.
Parfois ce sont des expatriés qui, intrigués par notre
véhicule étrange et étranger, viennent à notre rencontre.
Alors venons-en à ces impressions de l'Inde, pays pour
lequel nous avons demandé et obtenu un visa d'un an.
Nous sommes entrés par Lahore/Amritsar, puis le Rajastan,
le Gudjarat, Delhi, Goa, les Caves d'Anjata et Elora, la
descente vers le Kerala jusqu'à la pointe extrème du pays,
le bridge Adam vers le Sri Lanka, Tamil Nadu, Pondichery,
Shimla, la Spiti Valley, la Corbett Reserve juste avant
d'entrer au Népal, pour esquisser en vrac, quelques unes
des étapes de notre itinéraire indien.
Cela peut donner une idée des "sources d'information"
glanées au fil du trajet.
Impression globale très contrastée : un pays qui a des
aspects très modernes, des autoroutes, une classe moyenne
avec des voitures Tata, une télévision Tata, des
cellulaires Tata, des publicités pour des objets de luxe,
des quartiers d'habitations modestes, des bidons villes
jouxtant des quartiers grand luxe... et des gens, des
centaines de gens croisés chaque jour. Ces gens vivent le
labeur sans relâche dans des conditions venant d'un autre
monde :
- sur la route, c'est moi d'abord, je suis plus gros,
écrase toi, saute dans le fossé. Moi d'abord également si
je décide de rouler à contre sens sur la route, sur
l'autoroute à péage, sur le pont à voie unique ou dans la
ruelle si étroite. Au passage à niveau, chacun s'agglutine
devant les barrières pour passer le premier. Mais il y a
vingt premiers de chaque côté. Il faudra une demi heure
pour démêler l'écheveau. Le bon sens, la courtoisie, le
pragmatisme ne semblent pas faire partie des neurones
standards. Etonnant cette violence quotidienne renforcée
par les klaxons continus. Pas étonnants ces accidents
constatés chaque jour : chocs frontaux, camions ou bus
renversés, voitures écrasées... seules les vaches restent
placides et semblent tout à fait épargnées.
- gros travaux physiques pour la construction de routes ou
d'immeubles réalisés "à la main" : cuvettes, seau, pelles,
cordes, échelles de bambous... hommes et femmes travaillent
sans relâche sous le soleil, sans protection, les enfants
parfois tout près d'eux dans la poussière. On casse des
cailloux et des briques à tout âge, toute la journée.
- gros travaux domestiques quotidiens : chercher de l'eau,
du bois, des feuilles, du fourrage pour les bêtes ...
travail des femmes le plus souvent, les enfants y vont
aussi avec leur petite charge sur la tête.
- pas de facilités : pas de toilettes, à chacun sa
solution, l'un a son petit pot d'eau et va se soulager
derrière un buisson, l'autre est bien au milieu du chemin,
toilettes à ciel ouvert. Ne pas évoquer les latrines des
gourbis ou des gares d'autobus. Apnée insuffisante pour
terminer sa besogne personnelle. Laver le linge, c'est
accroupie sur le sol que les femmes triment. Au Guatémala
et au Honduras, des pays très riches n'est ce pas, les
femmes ont des bacs-éviers en béton ce qui leur permet de
laver le linge debout avec un appui adapté, même s'il n'y a
pas l'eau courante, les femmes lavent dans de meilleures
conditions.
- l'eau ? où trouver de l'eau, est elle bonne, y en a t-il
assez ? on attend, il faut voir la file de cruches déposées
depuis 4h du matin.
- dormir ? des "abris", des tentes de fortune, des cabanes,
des bidons ville, des corps sur le trottoir,...
- le marché ? tout est à terre, on enlève les plumes du
poulet en le raclant sur le sol, on coupe la viande sans
tenir compte de l'anatomie de la bête, les morceaux coupés
sont donc criblés de bouts d'os éclatés. Hygiène ???
- la religion omni présente : aller chaque jour au temple
recueillir une bénédiction pour les siens, faire des
offrandes, prier, beaucoup de femmes sont concernées par
ces tâches sans doute avec bien de la superstition (si je
ne fais pas cela... mauvaises nouvelles)
- on pourrait allonger la liste sans peine.
Et
les relations avec les gens ?
- les hommes vous dévisagent, en tant que femme, comme de
la chair fraîche à consommer. Je ne suis pas une jeune
pin-up, je suis habillée me semble t-il avec sobriété et
discrétion, mais j'ai eu droit à plusieurs reprises, à de
la "masturbation frontale" : un homme en face de moi, les
yeux dans les yeux se masturbant en pleine rue. Bon, il y a
de la frustration sexuelle dans l'air : est ce que je vais
l'aider ? est ce que j'appelle Jac ? est ce que je le prend
en photo ?
- mon rôle dans la voiture est de demander le chemin,
j'aide aussi aux manoeuvres lorsqu'il faut reculer, changer
de direction, stationner. Je sors donc du véhicule et vais
vers... les hommes pour recueillir les infos, ou bien
carrément me met au milieu de la rue pour arrêter le
trafic... stupeur de voir une femme faire de telles choses.
Je ne peux malheureusement pas demander mon chemin à une
femme car elles ne conduisent pas et on sait d'expérience
que seuls les conducteurs (taxi, bus, voiture, moto)
peuvent vraiment nous renseigner.
- les enfants : les petits garçons sont privilégiés par
rapport aux filles, le père va porter attention à son fils
plutôt qu'à ses filles. On assiste parfois à un traitement
de faveur (friandises, caprices) pour LE fils.
- les femmes sont dans l'ombre, pas de femme au café se
reposant d'un thé comme les hommes ! elles travaillent,
travaillent ou restent à la maison... travailler. En
voiture, les hommes sont devant, les femmes à l'arrière. Au
restaurant le serveur s'adresse à l'homme et combien de
fois oublie la commande de la femme ! Les femmes sont sous
"contrôle" continu, elle "suivent". Les jours de fête ou de
pélerinage on verra beaucoup de femmes dehors, en famille,
en groupe. Lorsque un homme me demandait la permission de
me prendre en photo, je disais "je préfère être prise en
photo avec votre femme ou votre amie, pas seule avec vous".
Ils étaient surpris et les femmes riaient de bon coeur avec
moi sur la photo. C'est comme si la femme n'existe pas pour
elle même, elle est "au service", à disposition.
- un témoignage masculin nous a touché. Un homme de
55 ans exprimait la chance qu'il avait de pouvoir
travailler et gagner sa vie pour que ses 3 filles finissent
leurs études. Il nous a dit aussi son soulagement de savoir
que les maris ne demandaient pas de dot.
Ce qui m'a fait le plus mal en Inde était de sentir comment
la femme est "réduite", exploitée, marginalisée. On imagine
facilement comment elle doit survire aux pressions et
risques sexuels, qu'elle soit jeune, adolescente, mariée ou
veuve. Un pays en si forte croissance, un pays qui a
tant de diplômés et diplômées (au chômage eux aussi).
L'Inde a ses grandes femmes (premier ministre, femmes
médecins etc...) mais quelle espérance pour une femme qui
naît aujourd'hui ? Les vieilles croyances, les castes, la
religion, la superstition... tout cela marginalise les
femmes. Sois belle et tais toi. Où est le respect de l'être
humain ? Il y a des lois nouvelles... mais les applique
t-on ? Comment stopper les assassinats de bébé filles ou de
jeunes mariées ? Combien d'années lumière faudra t-il pour
améliorer les choses à l'échelle du pays ? Grande
démocratie, l'Inde prend t-elle vraiment soin de ses
citoyennes ?
2.
Rencontres sur la route en Inde
Finalement, sur la route ces derniers mois en Inde,
nous n'avons pas rencontré beaucoup d'autres voyageurs
indépendants. Lors de ces quelques échanges, ce qui fait
l'unanimité est la difficulté du quotidien lorsqu'il faut
conduire son véhicule ou en trouver un qui ait un bon
conducteur, acheter de la nourriture ou seulement chercher
à faire bouillir sa marmite sur un feu déjà allumé,
demander un bout de terrain pour se poser, rectifier un
péage exorbitant... chaque fois il y aura une solution,
mais il faut négocier, insister, palabrer, se défendre,
justifier... comme si tout rapport "humain" s'inscrivait
d'emblée dans une relation de marchandage, roupie, roupie !
Autre point d'accord : les gens sont des plus collants.
S'arrêter, se poser un moment ou seulement passer :
sensation d'être toujours dévisagé lourdement. J'ai partagé
mon expérience avec d'autres témoignages féminins : l'homme
qui me dévisage à quelques mètres se masturbe allègrement.
Je l'ignore ? Je le regarde comme il me regarde ? Je le
prend en photo ?... que feriez vous ?... j'ai pensé aux
femmes indiennes qui vivent avec cette réalité bien plus
pressante encore que ce seul instant.
Foule, promiscuité, mentalité marquée par la culture des
castes et l'extrême religiosité ambiante, misère pour 300
millions d'indiens et luxe ostentatoire pour quelques
poignées de grandes fortunes. La femme n'a pas beaucoup de
place. Au restaurant, on s'adresse toujours à Jacques et
souvent on oublie la salade ou la boisson que j'ai
commandée. Il manquerait 50 millions de femmes dans le
pays, naissances avortées des fillettes, accidents
domestiques des jeunes mariées car la dot n'a pas fini ses
ravages. cf L'axe du Loup, Sylvain Tesson, édition
Pocket numéro 12815. Une loi sur le harcèlement et la
protection du droit des femmes est passée au Congrès, mais
comment les plus démunies peuvent-elles la connaître et la
faire appliquer ? Pays qui dépasse l'entendement, pays
dément par tous ces aspects de la vie quotidienne, pays en
forte croissance... mais à qui profite t-elle ? Une mamie
tibétaine à Darjeeling, nord de l'inde
3.
Entrée en Inde, choc culturel ou personnel
?
Il m'a fallu prendre un peu de recul pour rendre
intelligibles mes premières impressions indiennes. J'avais
entendu le verdict habituel : on aime ou on déteste.
J'avais lu le point de vue d'un médecin psychiatre affecté
au consulat français de Goa (voir le livre : "Fous de
l'Inde" ) et découvert celui du journaliste Marc
Boulet qui s'est glissé "Dans la peau d'un
intouchable" (éditions Le Seuil) durant trois mois à
l'issue d'une intense préparation tant physique,
linguistique que mentale. Entrer dans un nouveau pays,
nécessite de trouver peu à peu les réponses à la question
"comment cela marche t-il ici ?" Cette vaste question
recouvre les situations relationnelles autant que les
multiples problèmes à résoudre au quotidien. Comment se
salue t-on ? Comment est-ce que les gens conduisent et se
conduisent ? Est ce que les autorités se manifestent ? Où
achète t-on le pain, le yogurt, les légumes ? Où trouver un
endroit tranquille pour dormir ? Est -ce le prix juste ou
faut-il marchander ? Comment entrer en relation avec les
femmes ? Comment un voyageur est-il perçu ? etc...
Entrer par la route, c'est en premier lieu le contact avec
les autorités : immigration, douane, contrôle du véhicule.
Bonne surprise en Inde en quittant Lahore, les démarches
sont rapides, précises et courtoises. Nous apprenons que le
véhicule doit quitter le territoire mi avril, date
d'échéance de notre carnet de passage en douane. Bon.
Ensuite on plonge. La foule partout, les bus, les touk
touk, les charettes tirées par des boeufs ou des
dromadaires, les vélos, les piétons... chacun se fraie un
chemin et se définit sa priorité. La loi du plus fort, du
plus gros. Les bus klaxonnent sans relâche couvrant les
autres klaxons. Le bruit strident est continu. La lumière
n'est pas nette, il y a une sorte de voile laiteux, un
brouillard de fumées diverses. Les odeurs, à plein poumons,
se déclinent ainsi : les gaz d'échappement, les effluves
fétides des déchets éparpillés dans les rues fouillés par
les vaches et les chiens, le fumet des beignets fris qui se
glisse entre les fragances nauséabondes de l'eau croupie
d'un vague réservoir. L'odeur, on ne peut pas fermer les
yeux et passer outre, elle rentre en vous sans retenue.
Comment les gens peuvent-ils vivre au bord de cette route,
tenir cette échoppe, tirer sa charrette, marcher vers
l'école, vendre trois caramels, réparer des souliers au raz
du sol en incubant au maximum toute cette pollution ? Le
Pakistan nous avait préparé les sens mais en Inde on
franchit un cran supérieur très significatif. On ne quitte
jamais vraiment les zones urbaines tellement l'habitat est
dense, intense. Dans les espaces agricoles pour laisser le
plus de place aux cultures, les maisons sont collées sur la
route et les animaux sont attachés juste en avant de
l'habitat. Les enfants vivent dans cet espace réduit
encombré de détritus, réserves de fourrage, restes de
charrettes, empilage de bouses séchées... Après quelques
jours de route, on se rend compte que les rares étendues
propres, sans déchets, sans rebuts, sont les rizières !
Plaisir d'observer ces espaces d'un vert intense avec le
reflet de l'eau qui les baigne. Autre plaisir, pour
contrecarrer la liste de tout ce qui saisit et agresse le
passant, la variété des saris, tuniques, écharpes et voiles
des femmes : fluidité, couleurs, originalité, façon de les
porter... que serait l'Inde sans les femmes ? Les hommes
jouent aussi sur les couleurs de leurs turbans au Rajastan,
mais dans l'ensemble du pays le vêtement masculin est
plutôt blanc, beige, gris ou brun. Pas de Tshirt, partout
les hommes portent des chemises. Peu de shorts, dominent
les pantalons et costumes traditionnels avec tunique ou
longis, sorte de jupe que ces messieurs remontent à la
ceinture s'il fait trop chaud. Et les écoliers... en
uniforme !
La police brandit sa canne-bâton en bois et menace ainsi le
récalcitrant. Lorsque un policier nous fait un signe, nous
avons décidé de considérer celà comme un "bonjour". Nous
répondons en choeur en agitant nos quatre mains derrière le
pare-brise : oui, nous vous avons bien vu, cher policier et
on vous salue mais pas question de s'arrêter. Si par hasard
il appelle son collègue suivant sur la route, nous pourrons
effectivement expliquer que nous l'avons bien vu et salué.
Ils doivent penser que ces deux imbéciles joyeux sont sans
doute un peu débiles.
Départs,
départ
Il y a les petits départs, ceux qui donnent
l’avant goût de l’autre, le grand. On sait que
l’on ne repassera sans doute pas ici avant longtemps,
qu’on a des chances de se revoir encore une fois peut
être, mais les possibilités se réduisent,
s’amenuisent, se raréfient... L’instant,
d’un coup, devient plein... comme il l’est
toujours d’ailleurs... juste une question de
conscience, le présent.